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George Bernard Shaw, un athlète de la pensée

Conférence donnée le mardi 19 avril 2005

par Françoise Chatel de Brancion
docteur ès Lettres

L'Irlande et George Bernard Shaw

Bernard Shaw est un homme remarquable, un grand dramaturge. Il a écrit cinquante-sept pièces de théâtre. Ne vous attendez pas à ce que je vous les résume en une heure, ce serait impossible. Je me propose de montrer seulement les aspects très différents de cet homme qui manie les idées avec maestria.

Pour lui, les idées sont des passions, elles sont plus intéressantes que les sentiments. Finalement, il est un peu comme Shakespeare, il voit chaque homme, chaque femme, chaque personnage, dans sa complexité, dans ses difficultés, dans ses tendances multiples. Néanmoins, contrairement à Shakespeare, qui ne juge jamais, Shaw juge selon son propre critère humanitaire et social, car il y a en lui une profonde foi socialiste.
Il a été un socialiste militant et, en même temps, un grand satirique.

 

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Il y a aussi en lui une grande bonté et un grand amour de l’Homme. Son but est essentiellement didactique. 

Dans la préface de "Pygmalion", il se glorifie du succès de cette pièce en disant : "Le succès est dû au fait que cette pièce est intensément et délibérément didactique ", et il ajoute, "Le grand art ne peut être rien d’autre." 

Cette remarque pourrait faire un bon sujet de dissertation pour le baccalauréat. Mais est-il suffisant d’être didactique pour parvenir au Grand Art ? C’est discutable. À ses yeux, il faut enseigner et convaincre. C’est un militant socialiste qui veut faire passer ses idées par le truchement du théâtre. Tel est le résumé de son œuvre.

Évidemment il aime le théâtre, il est passionné de théâtre et, comme tout être en ce monde, il veut réunir ses deux passions, sa passion du théâtre et sa passion de communiquer le credo socialiste à travers des pièces de théâtre. 
C’est là un pari un peu extraordinaire,cette idée de communiquer et de convaincre sur un plan strictement politique, humanitaire (et encore se présente-t-il comme un militant socialiste, il ne triche pas, il est extrêmement clair), peut effrayer. On pourrait se dire : "Quelles pièces ennuyeuses ne va-t-il pas nous donner? Elles vont être inaccessibles, beaucoup trop intellectuelles et ce théâtre deviendra thématique et trop ambitieux ". En général, au théâtre, on aime voir les gens vivre, puis le public décide si la pièce lui plait ou non.

Eh bien, en fait, son théâtre est excellent, et cela pour trois raisons. 
Tout d’abord c’est un grand dramaturge. La passion du théâtre est en lui. Il n’appartient pas à une famille de gens de théâtre mais, cependant, ses personnages sont de chair et de sang, très vivants, souvent sympathiques même s’ils n’expriment pas des idées socialistes. C’est donc un dramaturge de talent.

Deuxième point, il est drôle, il a le sens du sarcasme, de l’humour et du comique, un comique très irlandais. Enfin, il a le goût de l’enthousiasme, de la fantaisie, l’amour des jeunes femmes sympathiques, des beaux gestes et de tout ce que l’Irlande et la tradition celte peuvent apporter. 
Ce pari, il le tient et le réussit partiellement.

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George Bernard Shaw et sa maison natale

 

La première partie de son œuvre porte sur la défense des théories libérales socialistes et n’a pas eu un immense succès. Je ne sais pas si elle a converti beaucoup de gens, mais elle a tout de même été commentée et jouée. Mais quand il abandonne l’aspect partisan pour aborder des thèmes plus généraux, il atteint au génie et à la grande célébrité.
Pour comprendre cette œuvre immense, le premier thème, au début de sa longue vie, est la défense des théories libérales et socialistes.

Le deuxième thème est la défense de la condition féminine. 
Vous savez que, à l’époque victorienne, c’est un sujet pionnier dont l’audience a été grande, ainsi que le succès de "Pygmalion", que vous avez tous lu. Je pense aussi que la plupart d’entre vous on vu la comédie musicale "My Fair Lady " avec Audrey Hepburn et Rex Harrison.

Le troisième thème est la recherche de la vérité historique. 
Son chef-d’œuvre est sans doute la pièce "Sainte Jeanne ". En tant que protestant, il aurait pu l’appeler, Jeanne d’Arc, mais non il la nomme Sainte Jeanne. Cette pièce a été jouée à Paris et à New York en 1923, alors que Jeanne d’Arc venait d’être canonisée en 1920 par le pape Pie IX. Bernard Shaw ne manquait pas du sens de l’opportunité et savait jouer avec l’actualité.

Nous allons porter un bref regard sur sa vie.

Il est né en Irlande, à Dublin, en 1856, mais il vivra surtout en Angleterre. Il devra beaucoup à l’Irlande quant au ton, à sa manière de traiter ses pièces de théâtre, et aussi à cette espèce de sens de la poésie, de l’enthousiasme, et du sacré.

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Dublin

Le père de Shaw n’a pas fait grand-chose. Il travaillait au Palais de Justice de la ville puis, ensuite, dans le négoce du blé, mais il était surtout occupé à boire du whisky. Disons simplement et gentiment qu’il était éthylique, aussi est-il mort relativement jeune. Les Irlandais aiment bien l’alcool, les Anglais aussi et l’on peut en dire autant des Français.
Sa mère enseignait la musique, aussi eut-il très jeune une bonne formation musicale. Il a aussi pratiqué la peinture et, au décès de son père, il a rejoint sa mère à Londres où il a vécu avec elle et ses deux soeurs dans une assez grande pauvreté. Cependant, il n’a pas cherché à prendre un métier préférant s’instruire et écrire. 
Inscrit dans une école normale, et n’étant pas un brillant élève, il n’a pas poursuivi ses études à la Faculté. C’est un autodidacte.
"Ma culture, c’est le British Museum ", dit-il. 
Effectivement il a passé de longues heures, des jours entiers, des années, au British Museum à lire tout ce qui lui tombait sous la main. Autrement dit, il n’a pas suivi une formation classique mais toute personnelle.

Le grand moment de sa vie sera le coup de foudre qu’il va avoir en lisant les œuvres de Karl Marx, et surtout "Le Capital ". À notre époque, ce choix nous paraît un peu vieillot, mais c’était en 1884. 
Donc le voilà tout à fait converti au socialisme, et converti avec passion. Il s’inscrit à la Fabian Society en 1884.

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Pendant plus de quinze ans, il va militer au Parti Socialiste sans chercher le pouvoir politique (ce qui est le côté sympathique de son caractère), sans chercher à être ni député ni ministre, non pas militant de base mais organisateur du parti. 

Il n’était pas trésorier, mais il organisait les réunions, et il parlait, il parlait beaucoup. Il parlait plusieurs fois dans la semaine et deux fois le dimanche. Imaginez ces orateurs qui, à Trafalgar Square, haranguent la foule. C’est très britannique, et il l’a fait pendant des années avec beaucoup de courage. Puis, il obtient un rôle important. Peut-être est-il un peu payé. Il est tellement passionné par ce credo socialiste qu’il veut faire bouger les choses, payé ou non. 

En 1885, il devient critique dramatique et musical à la Saturday Review, ce qui lui donne à la fois un salaire et un statut. 
Il rassemblera tous ses écrits politiques religieux et sociologiques dans un annuaire politique qui s’appelle "Everybody ".

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Saturday Review et " Everybody "

Il était donc plutôt parti vers une carrière de réflexion socio-politique. Il avait publié quatre ou cinq romans, qui n’avaient eu aucun succès, et l’on ne pensait pas du tout qu’il allait devenir ce grand dramaturge. 
Il a alors l’idée d’écrire des pièces de théâtre pour véhiculer son credo politique. Il entreprend une œuvre immense, s’intéresse beaucoup à son nouveau métier de metteur en scène. Bien qu’écrivain, il se passionne pour le travail des répétitions. Il se montre extrêmement consciencieux et précis. 
Chaque pièce de théâtre est précédée d’une longue préface,et il attache une très grande importance au décor, aux meubles, aux voix et au physique des acteurs. Il a écrit un ouvrage sur l’art des représentations. Le voilà lancé dans le théâtre. Il y est assez remarquable et on retrouve son goût de la politique dans la façon d’évoquer le pour et le contre. Ainsi les idées de ceux qui sont dans l’opposition et celles de ceux qu’il représente sont exposées, bien présentées et, en même temps, il sait manier les idées. C’est là un talent de conférencier que les autres n’ont pas. C’est toujours clair, on sait où l’on va.

Nous allons passer par cette première partie qui est beaucoup moins connue. J’ai lu un grand nombre de ses pièces à thème socialiste. Il les a groupées : d’un côté les pièces "plaisantes ", de l’autre les pièces "déplaisantes ". Vous savez que Jean Anouilh a écrit aussi des pièces grinçantes.

Avec les pièces "déplaisantes ", on aborde de plein fouet le sujet et on le critique, avec les pièces plaisantes, non. Le sujet est sympathique et bien présenté, mais il l’aborde par le biais et fait tomber son thème dans la dérision ou la stupidité.
Abordons les pièces "déplaisantes " qui sont au nombre de trois. Il va attaquer l’argent, l’argent sali, les combines, et ensuite, par la bande, la critique de la haute bourgeoisie puis, incidemment, dans la deuxième pièce, le mariage. La troisième pièce porte sur la prostitution.

La première pièce est "La maison des veufs " (Widower's House). Mais avant de renter dans le sujet, il faut dire que, en 1898, il a rencontré une charmante Irlandaise, Charlotte Payne-Townsend, qui est devenue son épouse.

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G.B. Shaw et Charlotte Payne-Townsend

Elle avait un peu d’argent, aussi est-il sorti de la vie difficile qu’il menait. Ils n’ont pas eu d’enfants, ce qui fut un drame, mais le couple demeura toujours très uni. 

"Sainte Jeanne " (Saint Joan) a été jouée en 1923. 
Il obtient le prix Nobel en 1925. 
En 1929 il écrit un pièce très drôle, "La charrette de pommes " (The Apple Cart), qui a fait rire tout le monde. 

En 1927, et cela est fort peu connu, il avait adopté Lawrence d’Arabie. Cela parce que Lawrence d’Arabie voulait mourir incognito, alors qu’il était très célèbre. Il avait essayé de changer de nom, il s’était fait appeler, John Hume Cross, mais des journalistes l’avaient retrouvé. Une fois adopté, il prit finalement le nom de Thomas Edward Shaw. Il est mort dans un accident de motocyclette. Lawrence d’Arabie n’étant pas particulièrement socialiste, cette anecdote montre l’ouverture d’esprit de George Bernard Shaw.

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Lawrence d'Arabie

Premier thème 
La défense des théories socialistes : les pièces déplaisantes

La première pièce est "La maison des veufs " qui traite de la spéculation immobilière : c’est une allusion à l’Écriture des scribes qui critiquaient toujours les malheureux. Le titre français de cette pièce est "L’argent n’a pas d’odeur ". Par la suite il opta pour le titre en latin, "Non olet ". À notre époque, cela nous paraît très courant car il s’agit de la critique de la spéculation immobilière sur des loyers qui ne sont pas encore des H.L.M., mais qui sont des logements très pauvres pour des gens pauvres. Il y a beaucoup de gens qui ne paient pas.

"Salaud de propriétaire ! Il y a des escaliers en bois qui sont des casse-gueule, toutes les vieilles dames de l’immeuble risquent de se casser le col du fémur, mais ça n’a pas d’importance, ce n’est pas rentable, donc le propriétaire ne réparent pas ", dit l’employé qui relève les loyers.

La pièce se poursuit, et l’on apprend que le riche propriétaire, Sartorius, issu d’un milieu interlope, fait des malversations immobilières. Alors un charmant jeune docteur, le docteur Trench, tombe amoureux de la fille du riche propriétaire d’immeubles insalubres, Blanche. Il veut l’épouser, mais il est horrifié quand le beau-père essaie de lui dire qu’il doit rentrer avec lui dans des combines plus ou moins frauduleuses pour l’achat de terrains à bon marché pour y construire de nouveaux logements. Trench a un sursaut d’honnêteté puis, finalement, cède et entre dans la combine. Trench épousera Blanche. C’est donc une critique directe de la malhonnêteté des gens qui s’occupent de l’immobilier. Pour nous, c’est presque du quotidien. À l’époque, ça l’était un peu moins mais c’était une critique, et on comprend très bien pourquoi.

La seconde pièce me plait beaucoup. C’est une critique admirable du snobisme et de l’arrogance de la haute bourgeoisie qui se réunit dans des clubs, très loin de la misère, de qui peut être malheureux, très loin de la famine. 
Il s’agit de la pièce «Le bourreau des coeurs", (The Philanderer). C’est une critique du mariage.

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Le mariage n’étant qu’un rituel d’argent et surtout de supériorité, qui dominera l’autre ? Il n’y a jamais ni partage, ni tendresse, ni véritablement d’amour. Ce qui est amusant et très d’avant-garde, car c’est un texte de 1894, c’est que dans ce club, le "Club Ibsen ", les hommes veulent paraître féminins et avoir des manières de femmes, et les femmes veulent se faire passer pour des hommes. Tout cela me semble du déjà-vu, mais en 1894 c’est assez extraordinaire.

Bernard Shaw aime les femmes, en tout bien tout honneur, parce qu’il est passionné par son travail et fidèle à son épouse, mais il n’aime pas les femmes vampires qui dominent complètement les hommes. La jeune femme que l’on voit dans le club est toujours en train de se précipiter sur ces messieurs, un peu le vampire et la glue. Elle fume, et elle fume dans le club, elle porte culotte, ou plutôt, "plus-four ", vous savez les fameux "plus-four " avec les gros bas de laine arrêtés aux genoux. 
Et elle dit : "Bonjour Craven mon vieux, bonjour Dorothée ". Elle joue à l’homme. Pour l’époque, en pleine période victorienne, c’est assez exceptionnel. Elle a en même temps, ce côté très sûr de soi qui est assez proche. du genre : "Bonjour mon cher, comment allez vous ? ", dit avec un accent affecté.
Ces attitudes sont critiquées de façon extrêmement drôle, vivante et très méchante, et ça passe bien. Mais je ne sais pas si ça passe très loin dans l’Angleterre très victorienne, car c’est une critique de la très haute bourgeoisie.

La troisième pièce "déplaisante" traite de la prostitution. 
Evidemment, Shaw n’est pas pour la prostitution. Les partis de gauche, et surtout d’extrême-gauche, ne sont pas du tout pour la prostitution. Cette pièce s’intitule "La Profession de Madame Warren " (Mrs Warren's Profession).

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La profession de Madame Warren

Madame Warren est une femme assez belle et vieillissante,très fardée. Elle a une fille charmante, Vivie, qu’elle a fait élever dans les meilleurs pensionnats,religieux probablement,et qui ne sait rien de l’origine de la fortune de sa mère.Un beau jour,la mère le lui explique. La jeune fille intelligente,douée pour les mathématiques et qui a fait une brillante carrière à la fac,comprend bien et pardonne le fait que sa mère ait eu besoin de se prostituer car elle était pauvre.Puis,à cause d’un valet de chambre qui crache le morceau, elle apprend que sa mère dirige l’ensemble de toutes les maisons closes entre l’Allemagne,la Hollande et la France. Alors là, elle n’accepte pas.

Elle trouve que c’est triste de se prostituer, que sa mère a eu des raisons de le faire, mais que ce n’est pas bien de continuer à en tirer de l’argent.
Elle dit à sa mère : "Tu m’a dis comment cela était arrivé, tu ne m’as pas dit que cela continuait encore ! "
La conclusion est que le grand capital ne fermera jamais les maisons closes car elles rapportent. Il continuera à s’enrichir avec l’argent du vice.

Les pièces "plaisantes ", c’est la démystification, la réduction par l’absurde des grands idéaux conservateurs. Shaw va s’attaquer au patriotisme, à la religion, et aux grands hommes. La pièce où il démolit le patriotisme est finalement très drôle, elle s’appelle, "Man and arms ", (L’homme et les armes). Plus tard, elle a été traduite et jouée en Amérique sous le titre "Le Héros et le Soldat ".

Nous sommes en 1885 en Bulgarie. Raina est éperdument amoureuse de son fiancé, un magnifique militaire, le major, Serge Saranoff, qui vient de se rendre célèbre par une charge de cavalerie contre les Serbes. 
Un jour, dans une petite ville, un soldat Serbe, qui est poursuivi, surgit sur son balcon et lui dit : "Si vous ne me permettez pas de rentrer dans votre chambre, on va me tuer ". Elle ouvre sa porte-fenêtre, le soldat rentre et s’écroule endormi. C’est très romantique. Dans la nuit, le soldat lui raconte ce qu’il est, un héros avec un pistolet. Mais son pistolet n’a pas de cartouches et il lui déclare : "Moi, la guerre je n’y crois pas du tout ! Je suis Serbe mais, en fait, je suis Suisse d’origine, et je suis mercenaire et j’ai une seule passion le chocolat au lait. "

Tout le monde sait que la Suisse est le pays du chocolat au lait, c’est donc une façon de démonter le patriotisme qui est à la fois très irlandaise et très Shaw. Raina dit : "Comment, vous aimez le chocolat ? ". Et les voilà qui partent sur les marques de chocolats, le chocolat au lait, le chocolat à la crème, c’est sa passion. La scène est en baisse de tension complète du mode héroïque. Finalement quand il faut se décider, elle préfère celui qui aime le chocolat au lait et l’épouse.

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L'homme et les armes

Cette pièce a été traduite et transformée en comédie musicale intitulée "Le Soldat en chocolat ", (The chocolate soldier). Elle a eu un grand succès à Londres comme à Paris. George Bernard Shaw a commencé à être connu. L’humour dévastateur de Shaw, (qui fait une critique désabusée du patriotisme, qui pourtant conserve une certaine noblesse, et de l’art de la guerre) piétine les valeurs sacrées et les fait basculer dans l’inutilité et la drôlerie. Ce qui fait de cette pièce, intéressante et drôle, une pièce assez terrible.

La deuxième pièce "plaisante " est "Candida ", et porte sur la religion.

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Candida

Il s’agit d’une famille de pasteurs. Le pasteur Morell est un excellent orateur. Il a énormément de succès, il est très apprécié par ses fidèles, très brillant, tout le monde sollicite ses conseils. Cependant, il sent que sa femme, Candida, l’aime bien, mais qu’elle ne le trouve peut-être pas un aussi grand homme que ça. Est-on un grand homme quand on est pasteur et que l’on parle bien ? 
Un jour, il s’aperçoit que sa femme est sur le point de le tromper avec un charmant jeune peintre un peu farfelu. Il a peur, parce qu’il l’aime, devient un homme timoré, torturé, touché comme tous les autres hommes. 
La conclusion qui s’impose est la suivante : "N’attachez pas trop d’importance à ces pasteurs qui manient des idées, ce ne sont que des hommes, de pauvres hommes comme tous les hommes "

Troisième pièce, "Les Grands Hommes ".

Bernard Shaw aime l’Histoire, le grand homme choisi est Napoléon. 
Il trace un portrait de l’Empereur assez intéressant, mais la faiblesse de Napoléon c’est, Joséphine. Shaw la dépeint comme une femme pas maligne du tout, qui mène son époux par le bout du nez
Donc tous les grands hommes ont des faiblesses. Et ce qui est assez curieux c’est que Shaw a l’intelligence de se glisser dans son personnage et faire dire à Napoléon : "Ces Anglais, c’est une race de marchands ! ". C’est étonnant de le voir dit par un Anglais !

La dernière pièce est : "On ne peut jamais dire " (You never can tell)
C’est une critique du mariage avec l’idée que chacun doit pouvoir être compris et avoir droit au bonheur. 
Shaw est socialiste, il est un homme de théâtre plein d’humour avec un sens du comique, parfois méchant et même cruel mais, au fond, c’est un homme bon. Peut-être fut-il un homme heureux avec sa Charlotte bien qu’elle ne lui ait pas donné d’enfant, on ressent un certain équilibre dans le domaine des sentiments. Sa bonté transparaît et en particulier dans la pièce sur Jeanne d’Arc.

Un mot sur la pièce qui a eu un très grand succès à Londres en 1929, "La charrette de pommes " (The Apple Cart). 
C’est le roi d’Angleterre qui en a assez de n’avoir aucun pouvoir. La constitution anglaise ne lui accorde que très peu de pouvoirs, comme vous le savez. C’est également le cas pour la reine actuelle, Elisabeth II, qui ne peut pas changer une virgule au discours du trône, bien qu’elle ait un grand rôle symbolique et de représentation mais sans pouvoir. Ce roi d’Angleterre déclare à son Premier Ministre épouvanté que, finalement, il a l’intention d’abdiquer en faveur de son fils pour pouvoir démocratiquement se présenter aux élections législatives. Comme il est fort intelligent et très populaire, il espère devenir membre du Parlement et, pourquoi pas ?,Premier Ministre. Le succès fut grand en Angleterre parce que le cœur des Anglais balance toujours entre son Parlement et son Roi.

Parmi les grands sujets très chers à Bernard Shaw, la défense de la condition féminine est l’un des principaux.

Deuxième thème 
La défense de la condition féminine

Dans ce domaine il échappe à ses partisans, il est plus libre. Il exprime un féminisme qui, à notre époque, pourrait paraître faible. Néanmoins, quand on imagine la fin de l’époque victorienne, c’est l’expression d’un féminisme assez ouvert. 
Shaw veut que les femmes jouent un rôle à part entière, aient un rôle en politique, qu’elles ne soient pas méprisées, mises à l’écart, comme elles l’ont été pendant des siècles, qu’on les écoute et qu’elles soient, non pas un objet, une chose aux yeux des hommes et de la société, mais respectées et aimées. 
Il s’intéresse particulièrement aux jeunes filles dans le choix de ses héroïnes, des jeunes filles intelligentes, faisant des études, vives, spontanées. La fameuse fille de la dame prostituée, Vivie Warren, en est un exemple parfait. Elle est très heureuse dans son petit cottage dans le Kent, s’occupe beaucoup de son jardin, est vive et sympathique et aime un adolescent poète, indolent et plein de charme. 
Très souvent, dans les unions évoquées par Shaw, les jeunes filles très actives, très brillantes et vivantes, aiment des garçons moins énergiques, plus poètes, qui attendent un peu tout d’elles comme si les femmes voulaient à la fois régner sur les cœurs, sur la maison mais aussi sur le monde.

Alors Shaw s’élève contre l’indifférence et la mise à l’écart des femmes. Je crois que sa pièce la plus intéressante est "Pygmalion ". Dans cette pièce, la pauvre Eliza est vraiment traitée comme un objet, sinon comme une chose. 
Chacun sait que Pygmalion était un célibataire grec endurci qui est tombé amoureux de Galatée, une statue d’ivoire qu’il avait sculptée et à qui Vénus a fait le don de la vie.

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"Pygmalion" de Girodet

Le Pygmalion de Bernard Shaw est le Professeur Higgins. Linguiste très calé, passionné de phonétique, cet homme remarquable passe sa vie à écouter les sons, à se demander si l’on peut dire ça de cette manière ou autrement, et en oublie complètement les sentiments, la vie quotidienne, la nourriture, l’habillement. C’est un professeur Nimbus, une sorte de monstre. Mais il est cependant sympathique parce qu’il y croit. 
Les problèmes de la langue sont toujours très passionnants. Comment une langue se construit, comment elle change, l’accent, qui pour les Anglais est de première importance. Et donc il y a une espèce de foi en ce qu’il fait qui le rend sympathique, mais il ne voit rien en dehors de la phonétique. Higgins est très attaché à sa mère, qui pour lui est la seule femme au monde. 

Dans sa longue préface de "Pygmalion ", Bernard Shaw déclare avec mélancolie :
"Les Anglais n’ont pas de respect pour leur langue, et ne veulent pas apprendre correctement à leurs enfants à la parler 
Pour lui, c’est un grand drame. L’alphabet est un vieux machin obsolète, plus du tout au niveau de ce qu’est la langue, car les voyelles c’est zéro. Ce qui compte ce sont les consonnes, ce qui est tout a fait vrai.

J’ai essayé d’apprendre l’Arabe, et cette langue ne dispose que d’une seule voyelle que l’on met à toutes les sauces. 
En Anglais, "a " n’est jamais prononcé comme notre lettre "a ", "e " n’est pas "e ", c’est "é " ou "i ". La voyelle est quelque chose de plastique qui vient se heurter aux pics montagneux que sont les consonnes. 
Pour les Anglais, c’est d’autant plus important à cause de l’accent, qui existe aussi en France dans le Midi, le Nord ou en Bretagne, mais qui, en Angleterre, est beaucoup plus marqué, et plus encore dans les rapports sociaux. On peut très facilement vous dire, même sans être le professeur Higgins, si quelqu’un est de tel ou tel milieu selon la manière dont il accentue tel mot. C’est très subtil, et il faut avoir vécu en Angleterre pour l’apprécier. Toujours est-il que le professeur Higgins est tellement calé qu’il est capable, quand il rencontre quelqu’un, de dire au bout de dix minutes d’entretien, sa profession, son milieu, et presque la rue dans laquelle il habite.

La pièce commence un soir, à la sortie du théâtre. Il pleut et la plupart des spectateurs se réfugient sous la colonnade de la fameuse église Saint Paul, le chef-d’œuvre de l’architecte Christopher Wren, située pas très loin de Covent Garden.

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Higgins et Eliza à Covent Garden

C’est à cette sortie du théâtre que le professeur Higgins remarque une pauvre petite jeune femme, crasseuse, une mendiante qui vend des bouquets de violettes. Et elle propose ses bouquets avec une voix épouvantable, vulgaire, criarde. Higgins est horrifié. Il trouve que l’anglais est massacré et il lui en veut de parler comme ça. Voilà que passe son ami le colonel Pickering, spécialiste des différents idiomes indiens.
Higgins lui dit : "Voyez, mon cher, cette petite gamine qui est là, crasseuse, avec son manteau noir et son chapeau du dernier mauvais goût, en trois mois je suis capable d’en faire une personne aussi distinguée qu’une duchesse à une réception à l’ambassade. "

Ces deux philologues passionnés se mettent à parier. Ils ne pensent pas du tout à la fille. 
"Et bien je parie ", dit Pickering.

Ces deux hommes respectables s’entendent, s’avancent vers la jeune fille et Higgins lui lance avec véhémence : "Rappelez vous que vous êtes un être humain ! Avec une âme, et le don divin du langage articulé. Votre langue maternelle est celle de Shakespeare et de Milton. Ne restez pas là à roucouler comme un pigeon bilieux ! "

La jeune fille est complètement perdue, inconsciente de mal parler, et le professeur lui demande si elle accepterait de venir chez lui. Elle accepte et il l’emmène. Elle est tellement sale, elle sent tellement mauvais, qu’il faut procéder à un décrassage complet. C’est une scène comique. Higgins est très dur, même cruel, parce qu’il ne parle pas d’elle comme d’une personne, il parle d’elle comme d’un bagage. 
"Qu’allons nous faire de ce bagage ? Allons nous la garder assise sur une chaise ? Ou la jeter par la fenêtre ? " 
C’est assez horrible.
Alors il fait venir sa femme de charge et lui ordonne : "Il faut que vous me la décrassiez. Prenez de la lessive Saint Marc si c’est nécessaire, mais il faut qu’elle soit propre. "
La gouvernante, effrayée, réplique :
"Le fait est, Monsieur, que vous ne pouvez prendre une jeune fille comme cela, comme si vous ramassiez un galet sur la grève "

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Il faut laver Eliza

Vous voyez le sens du thème.
Eliza n’est pas une femme, c’est une chose. "One pebble on the beach "

Le miracle s’accomplit et, au bout de deux mois d’acharnement, Eliza Dolittle devient une ravissante jeune femme dont le langage s’améliore de jour en jour.

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La métamorphose d'Eliza

Pour sa première épreuve, le professeur ne veut pas l’emmener chez une duchesse. Il lui conseille de paraître chez sa mère. Mrs Higgins est épouvantée par ce que son fils a essayé de faire car elle a de la sympathie pour cette jeune fille et elle trouve abominable qu’il la considère uniquement comme un objet de travail en testant sur elle ses différentes méthodes phonétiques. 

Bien sûr, Eliza a le trac. Elle a appris un certain nombre de réponses pour les dire avec le bon accent. Aussi, lorsqu’on lui demande : "Pleuvra-t-il croyez vous ? ", elle répond, «Étant donné que la faible dépression à l’Ouest de ces Îles se déplacera probablement à l’Est, il n’y a pas d’indication d’un notable changement dans la situation météorologique. "

On trouve la réponse drôle. Puis la conversation va s’égarer, et elle va sortir ses phrases apprises. 
Mais quand on lui demande : "Comment va Madame votre mère ? ", elle retombe dans son argot."C'te pauvre femme, elle est à l’hôpital et elle est ben malade ", dit-elle.

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Le "small talk"

Tout le monde trouve formidable sa manière d’imiter l’argot à la mode,qu'on appelle le "small talk ", et elle remporte un grand succès.

Higgins lui donne des cours de prononciation, de syntaxe et de sémantique. Eliza est fascinée par la rigueur du professeur. Au fur et à mesure qu’elle devient un être humain, elle comprend l’intelligence de cet homme, la valeur de son talent, et lui aussi est fasciné par son intelligence. Elle apprend très vite et elle a une excellente oreille, car toute la difficulté pour savoir parler, c’est d'abord d’entendre.

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La méthode d'enseignement du Professeur Higgins

Elle montre une promptitude extraordinaire mais, au lieu de penser qu’elle aussi fait un effort, Higgins se montre épouvantablement égocentriste, comme beaucoup d’hommes.

"J’ai dû travailler avec cette fille tous les jours pour l’amener à son actuel niveau ", dit-il. Il ajoute avec passion à quel point il est captivant de prendre un être humain et de le changer en un autre être humain en créant un nouveau langage. C’est comme de combler le plus grand fossé, celui qui sépare les classes et les âmes les unes des autres. Alors il émet un certain idéal. Changer la langue de quelqu’un est très important, mais ce n’est pas tout. 

C’est la fameuse déclaration de Pygmalion : "Je l’ai créée, elle est à moi, elle est ma chose, elle n’existe que pour moi et par moi, elle ne peut vivre que par moi ".

Je dois faire apparaître le père d’Eliza parce qu’il est drôle. Je pense qu’il y a un souvenir du père de Bernard Shaw. C’est un alcoolique, intelligent, paresseux, crasseux, avec un chapeau melon. Il parle abondamment dans son style propre, et n’attache aucune importance à ce que le professeur n’aime pas sa façon de s’exprimer. Il s’appelle Mr. Dolittle. C’est presque mieux que fainéant parce que ce n’est pas qu’il ne fait rien, il fait juste "un peu ". Finalement, il devient très riche à la suite de quelque opération frauduleuse et il est très content d’être débarrassé de sa fille. Il est enchanté qu’elle soit chez le professeur à apprendre une meilleure langue et, peut-être, à gagner beaucoup d’argent. 
Là, le professeur Higgins trouve son maître. Dolittle parle tellement qu’il ne peut pas l’arrêter. Il étudie également ce langage, et c’est extrêmement drôle.

Arrive le grand jour, la Garden Party à l’Ambassade. 
Higgins a beaucoup d’argent et il permet à Eliza de s’acheter de belles robes. Mais Eliza n’est pas une fille vaine, une fille frivole, et l’expérience l’amuse. Tout le monde la prend pour une duchesse. 
Le soir, en rentrant, elle dira à Higgins : "J’ai gagné votre pari, une vieille dame vient de me dire que je parle exactement comme la reine Victoria. "

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Eliza à la Garden Party de l'Ambassade

C’est la consécration finale. Epuisés, Higgins, Pickering et Eliza prennent un taxi, et rentrent à l’appartement. Higgins n’a pas un mot pour remercier Eliza. Il n’a pas un mot pour la féliciter de l’effort qu’elle a fait, et il lui demande simplement de lui apporter ses pantoufles. 
Elle explose : "J’ai gagné votre pari, cela vous suffit, je n’existe pas. "
La réponse d’ Higgins est fulgurante. 
"Vous, vous avez gagné mon pari, insecte présomptueux ? C’est moi qui l’ai gagné ! " 
"Pourquoi ne m’avez-vous pas laissée dans le ruisseau. Je veux un peu de tendresse. Je sais que je suis une fille commune et ignorante, et que vous êtes un érudit et un gentilhomme, mais je ne suis pas la boue de vos souliers. Ce que j’ai fait ce n’était pas pour les robes et les taxis. Je me suis mise à tenir à vous. Non pour que vous me fassiez l’amour, sans oublier les différences entre nous, mais pour qu’il y ait de l’amitié ", dit-elle.

Higgins ne comprendra pas et elle repartira.

C’est tout de même assez triste. Bernard Shaw nous donne là une très grave leçon : toute femme mérite le respect. En allant plus loin, on peut dire que tous les Higgins à travers le monde devraient se souvenir que l’on ne doit pas bafouer la dignité d’un être humain, que ce soit un homme ou une femme, et que l’exploitation de l’homme par l’homme est haïssable. C’est cela que Bernard Shaw a voulu nous dire.

Troisième thème
Bernard Shaw historien

Il est un historien né. Il pense, ce qui est assez sympathique mais illusoire, que l’on peut arriver à retrouver la vérité historique, on doit la chercher, en étudiant les textes, en reconstituant le contexte d’une époque, en cherchant, par son intuition, à évoquer les gens de cette époque pour les comprendre mieux, et à trouver la vérité. C’est une recherche intéressante.

Il étudie les faits les plus en relief, les plus saillants, comme érudit, puis, ensuite, il réfléchit à ces gens qui ont incarné une époque. Il attache beaucoup d’importance aux éléments historiques et à l’intuition, et c’est ça le coté très irlandais, de l’Irlande celte pour qui les esprits, les fées, la brume, un parfum, comptent. Il se fie à son intuition pour retrouver l’esprit d’une époque.
Les grands historiens font un travail très strict, très sérieux, très scientifique, puis il y a ce travail, presque poétique, de l’intuition. Shaw attache une très grande importance au décor, au physique des acteurs. 
Dans la fameuse préface de "L’homme et les armes " (Le Soldat en chocolat), c’est lui qui décidait des décors. Nous sommes en Bulgarie, et il veut faire sentir l’atmosphère, à la fois fruste et raffinée de l’Europe Centrale. La fenêtre ouvre sur le mont Balkan, les meubles sont en bois blanc assez frustes, mais, en même temps il y a de magnifiques tapis et des tentures plus ou moins orientales. Grâce au contraste entre la montagne, les meubles et les draperies, nous sentons que nous sommes dans cette Bulgarie, partagée entre l’Orient et l’Occident. 
Bernard Shaw est donc un historien né et un grand dramaturge qui attache de l’importance à toute chose.

"Sainte Jeanne " est un grand souvenir pour moi, parce que cette pièce a été jouée en 1923, alors que Jeanne d’Arc a été canonisée en 1920, donc ce n’est pas innocent. 
Si Shaw a écrit cette pièce à ce moment-là, il a pensé aussi qu’il y avait une opportunité à saisir. 
J’ai vu cette pièce quelques années plus tard, tout de suite après avoir passé le Bac, et j’avais été bouleversée. 
Il est assez extraordinaire que cet auteur anglo-irlandais, athée, ait à ce point compris et aimé Jeanne d’Arc. Il y a une espèce d’osmose entre eux et, pour lui, elle va être son héros. Elle va être celle qui va diffuser ses idées humanitaires à travers le monde et aussi, essentiellement, le protestantisme. C’est hardi, et quand Jeanne parle, c’est tout de même la voix de Bernard Shaw que l’on entend. Mais c’est une pièce de théâtre. Il n’y a pas à se référer à l’Église, au dogme. C’est son droit et sa liberté de créer un personnage aussi original et aussi fort. Cette tentative est très intéressante sur le plan historique parce que c’est très proche d’une certaine forme de vérité. Il s’en dégage un éclairage assez extraordinaire.

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Jeanne d'Arc

La grande phrase de Jeanne est:
“The church in the hand of God, and not God in the hand of the church”
“ L’Église dans les mains de Dieu, et non Dieu dans les mains de l’ Église "

Ce qui exprime l’idée que Jeanne est avant tout messagère de Dieu. Et que, avant tout, Dieu est le premier servi. Shaw voit donc en elle un ancêtre du Protestantisme, bien que le Protestantisme ne soit pas né à l’époque et c’est là où il fait un pari très audacieux,.

Jeanne d’Arc a été brûlée en 1431, et ce n’est qu’aux environs de 1530 qu’Henri VIII est devenu chef de l’Anglicanisme. Mais jusque-là, les gens bougeaient, les idées bougeaient, et la grande idée, qui était probablement à l’ordre du jour, c’est que Jeanne parle au nom de Dieu, elle va vers Dieu, directement, sans l’intermédiaire de l’Église et des prêtres. Tout au moins c’est comme cela qu’il nous la présente et, en un certain sens, on peut en cela déceler une certaine forme de protestantisme. C’est aussi la définition du libre arbitre. 

Il va faire d’elle le premier martyr protestant. Dans la préface, il y a une phrase étonnante dans laquelle il en fait même un émule de Mahomet. Malheureusement, personne ne semble lui avoir demandé la justification de cette affirmation. Nous en resterons donc au protestantisme.
Il essaie de connaître Jeanne par l’intérieur. 

"Il y a l’extérieur, l’époque, l’environnement, l’histoire, puis il y a cette personne que je veux lconnaître par son "inmost soul ". Je veux la connaître par l’intérieur d’elle-même, connaître l’étincelle, savoir comment cela s’est passé ".

Dans cette longue préface, il évoque les voix.

"Jeanne d’Arc déclare qu’elle entendait des voix, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit folle. On peut avoir des hallucinations et rester quelqu’un de normal. Elle a beaucoup de bon sens et n’a jamais été sous l’emprise de la folie. Des quantités de gens sont visionnaires sans être des fous ".

Il critique le jugement actuel où l’on dit que cette époque du Moyen-Âge, qu’il admire beaucoup et qui pour lui est une période de haute civilisation, est un Moyen-Âge infantile et finissant. "Vous dites qu’ils étaient trop crédules. Et vous ? Â notre époque, et vous ? ", dit-il.

Il parle de voyants, des boules de cristal, des hallucinés, des signes du Zodiaque, d’horoscope.
"Et vous aussi n’êtes vous pas très crédules ? ", interroge-t-il encore.

Il attaque aussi le sujet du bûcher. "Quelle époque cruelle ? Et notre époque en Amérique, la chaise électrique, le couloir de la mort, ne trouvez vous pas que c’est cruel ? Et les accords pour aller chercher les papiers que l’on ne comprendra pas et les logements abominables ? "

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Cachot et tour de la prison de Jeanne
(illustrations tirées de l'ouvrage du colonel de Liocourt, 
"La mission de Jeanne d'Arc" - Nouvelles editions Latines -Paris 1974)

Il élève toute une diatribe très socialiste sur la cruauté du monde moderne.

Finalement, il veut nous faire comprendre que cette époque était régie par deux grandes puissances, deux systèmes, l’Église toute puissante et le système féodal. C’est l’esprit même de l’époque, et Jeanne est une rebelle qui, dans sa vision divine, va balayer, par ses propos, ces deux institutions, l’Église et la féodalité.

Ce qui est assez émouvant, c’est que cette pièce a été jouée pour la première fois à Paris par les Pitoëff. Ludmilla Pitoëff était une jeune femme d’une vingtaine d’années, orthodoxe, avec un fort accent russe. Par contre, l’auteur de la pièce était un Anglo-irlandais, athée, de soixante-huit ans. Or, ces deux personnes sont parvenues à cerner de très prés, de manière à émouvoir un très grand public en France et ont atteint l’âme, l’esprit, et le caractère d’une jeune lorraine de dix-sept ans née à Domrémy au début du quinzième siècle.

Ces rencontres par l’intelligence, par le cœur sont merveilleuses. Et je pense que le personnage que nous présente, Bernard Shaw, Jeanne, est quand même séduisante, proche de la vérité, qu’elle est un personnage fort et original.
C’est une fille de la campagne, bien plantée, elle a entre dix-sept et dix-huit ans. Ce sont les indications de la préface, données avant le choix de l’actrice. Elle est respectablement vêtue de rouge avec un visage très particulier, les yeux très écartés et saillants, comme souvent chez les personnes très imaginatives, un long nez bien formé, de larges narines, une lèvre supérieure courte et résolue, une bouche charnue et un bon menton de combattante. Et aussi une voix prenante et chaleureuse à laquelle il est difficile de résister. Voila comment il nous la présente.
Mais voyons comment il nous la montre sur le plan humain, le plan politique et le plan religieux.

Sur le plan humain

Jeanne n’est ni une héroïne, ni une sorcière. Il la voit comme un être d’exception, mais elle n’est pas romantique. Elle est intelligente, bonne, très vivante, spontanée, dynamique, mais très sûre d’elle-même et très obstinée, une battante. Il imagine que, petite fille, elle admirait les soldats qui passaient. Comme vous le savez la Lorraine, à ce moment-là, entre les Bourguignons, les Allemands et les Français, était divisée. On ne savait même plus à qui le pays appartenait. Donc Jeanne aimait les soldats qui passaient, son seul plaisir était d’essayer de mettre un pantalon comme les soldats, et de jouer avec leurs armes. Elle était très intrépide et hardie. Un peu le genre de petite fille dont on dit facilement : "C’est un garçon manqué "

Shaw pense que ça l’amusait de s’habiller en homme et que ça la protégeait des assauts de ces messieurs ; mais qu’aussi elle aurait pu en faire moins et, que par contre, quand elle s’est présentée à la Cour, à Chinon, pour dire au roi "C’est vous le dauphin ! ", elle aurait pu être habillée en femme, mais elle n’y a pas pensé. Il y a aussi un côté de bravade, un côté de jeunesse et, finalement, elle est également capable de faire la cuisine et elle le dira dans le procès, et qu’aux travaux d’aiguille, elle ne craint aucune femme de Rouen. Donc, c’est un être complet audacieux, vivant, et qui y croit.

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Signatures de Jeanne
(illustration tirée de l'ouvrage du colonel de Liocourt, 
"La mission de Jeanne d'Arc" - Nouvelles editions Latines -Paris 1974)

Sur le plan politique

Sa vision est des plus simples : la volonté de Dieu. 
"Que les Anglais ne viennent pas dans notre pays où ils n’ont rien à faire et ils n’ont pas à parler notre langue " 
Donc il faut bouter les Anglais hors de France, c’est simple. Et d’ailleurs, elle dit : "S’ils n’étaient pas en France, tuer un Anglais serait un meurtre "

Finalement, d’une seule phrase, elle va démolir cette féodalité à la fois internationale et communautaire. Elle va dire aux seigneurs qui l’entourent que, pour elle, Dieu est le premier servi, pas de suzerain, tout se ramène à Dieu. C’est tout de même très grave à cette époque. 

La première entrevue entre Charles de Bourges, qui sera plus tard Charles VII, est tout à fait moderne. Elle l’appelle par son prénom, va vers lui et lui dit : "Hello Charly, are you afraid ? " ("Salut Charlot, as-tu peur ? ") Il lui répond : "Oui, j’ai peur ! " Elle tente alors d’élever le débat ; lui reste hésitant, maussade. Il sera pourtant un grand roi. Mais il n’est pas content et préfèrerait rester là où il se trouve. Aller à Reims se faire couronner ne lui fait pas plaisir. 
"Pour le couronnement, Anne, ma femme va vouloir de nouvelles robes et nous ne pouvons pas les payer. Je suis très bien comme je suis " 

Mais Jeanne est ardente. Elle élève le débat et va lui dire avec beaucoup de solennité : 
"Je suis envoyée par Dieu pour te dire de donner solennellement ton royaume à Dieu, à genoux, dans la cathédrale, pour toujours.Tu deviendras son délégué, son bailli, son soldat et son serviteur "

Elle développe donc essentiellement la théorie de la monarchie de droit divin, de la monarchie absolue. Elle avait déjà cours, mais était tombée en désuétude, puisque cela ne gêne pas ce pauvre Charles de Bourges. Il était le fils du roi précédent, son père, Charles VI Le Fol, qui avait épousé Isabeau de Bavière.

"Tu seras le délégué de Dieu ! ", dit Jeanne. 
Mais alors, les autres, les barons, que vont-ils devenir ? Par cette phrase, Bernard Shaw démolit tout l’édifice féodal. Parce qu’à l’époque, le roi était le suzerain des suzerains, car dans chaque province, dans chaque endroit, il y avait un suzerain qui avait un vassal qui était lui-même le suzerain d’autres vassaux, ce qui constituait une pyramide descendante, et c’était la même chose en Allemagne et en Angleterre, donc il y avait une sorte d’internationalisme du système politique. 

Qu’était donc le roi au milieu de ses barons ? Il n’était que le premier d’entre eux. Mais si le roi devient roi de droit divin, il devient le maître de la féodalité, et c’est la disparition des barons tumultueux. 
C’est un monde qui croule. Et Jeanne le dit dans toute sa naïveté. 
Elle continue : "Mais la guerre, vous ne savez pas la faire. Vous pensez à quoi ? À vos belles armures, à en avoir une plus belle que celle du duc de Montmorency ou du duc de La Rochefoucauld ? Vous allez regarder les couleurs de vos écus. Vous ne pensez qu’à ça ? C’est un jeu, c’est comme si vous jouiez au tennis "
Et elle ajoute :"Et si vous êtes pris, vous n’allez pas vous battre tellement fort, n’est ce pas ? Mais juste un petit peu, pour qu’il y ait une rançon et que l’on vous rachète. Mais il faut se battre pour gagner cette guerre et bouter les Anglais hors de France, vraiment en mettant votre vie, comme moi je le fais dans les mains de Dieu " 
Et elle conclut : "Les gens du peuple comprennent cela "

C’est la création de l’idéal patriotique. C’est la création à un moment où il n’existait pas, car Bernard Shaw emploie le terme de nationalisme, parce qu’il ne sait pas quel mot employer pour faire comprendre aux gens qui écoutent sa pièce, car le nationalisme et le protestantisme n’existaient pas à l’époque. Pour lui, qui était un bon philologue, c’était un problème que d’employer des mots de son époque pour parler d’une époque qui ne les employait pas. C’est une autre histoire.

C’est la naissance du patriotisme et il a cette phrase amusante :
"Mais qu’est ce qu’elle raconte ? Alors il n’y aura plus de suzerains, plus de vassaux. Tout va s’écrouler ! Le roi sera donc très puissant.Que va t il se passer ? Tous ces gens vont être du même pays puisqu’ils auront un seul roi. " 

Un seigneur fait alors remarquer que ça devient à la mode que de parler de la France et de l’Angleterre 
"Est-ce que tous ces Bourguignons, Bretons, Picards et Gascons vont commencer à s’appeler Français ? De même que chez nous nos gens vont se dire Anglais ? " 

Ils disent que le danger est grand. 
C’est une révolution. Pour le pouvoir temporel comme pour le pouvoir spirituel, Jeanne est une rebelle. Le délégué de l’Angleterre, le duc de Warwick, comprend fort bien et il s’exclame dans une entrevue avec Cauchon : "Si nous la prenons, vous brûlerez la protestante, et moi je brûlerai la nationaliste. "

Pour atteindre l’auditoire, il emploie des mot différents et il ne sait pas très bien lesquels, et cela le blesse parce que nous trouvons là le philologue, Professeur Higgins-Bernard Shaw. Il dit que les plus grandes difficultés pour faire une pièce, qui galope à travers l’histoire, c’est la distanciation du langage. 
Il est certain que nous employons des mots que nos petits-enfants comprendront à peine. Par exemple, que veut dire "libéral " par rapport à ce que ce mot signifiait il y a vingt ans ? Les mots changent avec le temps. 
Pour un homme, pour Dunois, par exemple, compagnon de Jeanne d’Arc, que veut dire "nationaliste " ? C’est un mot qu’il ne connaît pas. Que veut dire "nation "? Que veut dire "protestante " ? 
Et pourtant, dans la préface, Shaw, déclare : "Il faut bien que je fasse comprendre ce que je veux dire à propos de Jeanne à mon public, donc j’emploie ces mots. Excusez-moi de le faire, mais je dois le faire. "

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Sybil Thorndike dans le rôle de Jeanne

Sur le plan religieux

Jeanne est croyante, militante, pas du tout bigote, elle est dans les mains de Dieu et elle lui obéit à travers les voix de ses saints : Saint Michel, Sainte Catherine, Sainte Marguerite. Elle les entend dans le bruit des cloches, dans le recueillement, elle les entend à midi dans le jardin de son père. 
Et Shaw nous dit : "Oui ! Ses voix lui disent ce qu’il faut faire mais ce n’est tout de même pas l’expression de son inspiration personnelle, elle pense que c’est Dieu qui lui ordonne de le faire, mais c’est aussi ce qu’elle a pensé elle-même. " 
Il y a une concordance et elle reste consciente qu’elle n’est qu’une petite paysanne, qui ne pourrait rien faire sans l’aide de Dieu, mais qu’avec l’aide de Dieu.
"Avec seulement dix soldats, je peux arrêter tous les Anglais si Dieu est de notre coté ", dit-elle.

Ce qui est sympathique dans la Jeanne de Bernard Shaw, c’est qu’elle veut passionnément sauver son pays, faire couronner son roi et qu’elle fonce. Elle fonce avec tout son courage, toute son énergie, tout l’enthousiasme d’une fille de dix-huit ans et qui y croit, une fille vivante, dynamique, douée, et qui ne comprend pas ce que c’est que la jalousie, ce que sont les intrigues de cour.
Alors dans le déambulatoire à Reims, après le couronnement, elle est désespérée parce qu’elle sent qu’on commence à la détester.
Elle dit à Dunois : 
"Pourquoi tous les barons, les courtisans, les hommes d’église, me haïssent-ils ? Je leur ai apporté beaucoup ? Je leur ai apporté la chance et la victoire ! J’ai couronné Charles ! C’est un vrai roi. Pourquoi ne m’aiment-ils pas ?". 
Et Dunois lui répond : 
"Ils ne vous aiment pas parce que vous avez réussi. Ils ne vous aiment pas parce qu’ils ont peur "

De toute façon le roi n’est pas content, et de son ton toujours geignard et comique, il vient lui dire que la cérémonie était pénible, que le poids des robes était trop lourd, la couronne écrasante, et que la fameuse huile sainte était rance.

Pauvre Jeanne ! Pour le roi, elle n’est une jeune présomptueuse qui veut savoir tout mieux que tout le monde. Peu à peu, le climat change.
"Si la chance est avec elle, je continue, mais si la chance l’abandonne, je la quitte. Elle va trop loin ", dit Dunois

Un peu plus tard, elle va rencontrer l’évêque Cauchon qui va lui dire : "Vous êtes seule, absolument seule "
Réponse foudroyante de Jeanne : 
"Croyez-vous me faire peur en me disant que je suis seule ? La France est seule et Dieu est seul. Qu’est ma solitude en face de la solitude de mon pays, et celle de mon Dieu ? Je vois maintenant que la solitude de Dieu est sa force ! ".

Le procès s’engage, très tendu, sur un total malentendu et l’on ne peut pas penser une seule seconde qu’elle ait imaginé qu’elle puisse être jugée comme une hérétique. On sait très bien qu’elle est une bonne chrétienne, on sait qu’elle croit, et elle se refuse à imaginer que l’idée vienne aux gens, et surtout aux prêtres, de faire d’elle une hérétique. Et le fameux jeune Dominicain qui va l’assister jusqu’au bout dit : "Y a-t-il tellement de mal dans les propos de Jeanne ? N’est ce pas seulement son innocence ? "

Elle ne comprend pas ce qu’est ce tribunal ecclésiastique. Cauchon représente l’église locale, et il y a le grand maître de l’Inquisition.

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Représentation de "Saint Joan"

Ce qui est assez curieux c’est que Shaw ait voulu faire de Cauchon, qui a été très critiqué par les historiens et surtout en France, un évêque plutôt sympathique, un homme qui veut essayer de sauver Jeanne, qui est une baptisée. Il trouve que ce sont des peccadilles que de s’habiller en homme. Qu’elle soit un grand homme de guerre, il n’y attache que peu d’importance, mais, par contre, il accorde une énorme importance au fait qu’elle veuille s’adresser directement à Dieu. C’est la marque du protestantisme.

"Elle ne voit que Dieu et elle. De ce fait, elle est hérétique parce qu’elle ignore le pouvoir de l’église militante et elle la laisse à l’écart ", dit-il.

Cauchon juge en fonction de l’autorité et de la puissance de l’église. 
"Cette hérésie, qui commence à se propager en Europe et que l’on pourrait appeler protestantisme, met en avant le jugement individuel ", dit-il.

Ce qui est très intéressant, parce que ça c’est passé, est que pour Luther, c’est bien le même problème. "Moi, être humain, j’ai la foi et je me dirige vers Dieu directement. Ai-je besoin de tous ces intermédiaires ? " 
Ça se discute. 
Est-ce que le pouvoir de l’Église tout entière et de tous ses fidèles, qui représente une certaine sagesse, est aussi la Sagesse avec un grand S ? 
Shaw fait dire à Cauchon : 
"Elle met en avant le jugement individuel de n’importe quel mortel pêcheur face à la sagesse expérimentée de l’église, la conscience privée d’un être face à la formidable puissance de la masse des fidèles gouvernée par l’église. C’est essentiellement un acte
 de désobéissance."
C’est pour cela qu’il pense qu’elle doit être condamnée.

Tout d’un coup, elle comprend. Et là c’est très bien du point de vue scénique, bien que ce ne soit pas comme cela que cela s’est passé. Elle entend des bruits, elle comprend que l’on est en train de dresser un bûcher dans la cour du vieux marché, et que c’est pour elle. 
Alors elle a ce cri terrible : "Vous n’allez pas me brûler maintenant ? ". Cri d’horreur. Elle se sent piégée. Elle n’a qu’une vingtaine d’années, elle flanche, elle a peur et elle accepte de déclarer que ses voix l’ont trompée et elle signe son abjuration. 
Le grand inquisiteur déclare qu’elle ne sera pas brûlée et pas excommuniée, mais qu’il la condamne à la prison à perpétuité pour expier ses péchés et assurer le salut de son âme. 
Mais cette captivité, Jeanne ne l’accepte pas, et elle choisit librement le bûcher plutôt que la mort dans la prison. Plutôt la mort que la perte de la Liberté

Elle va dire : "Je peux vivre de pain et d’eau. Quand ai-je demandé plus ? Mais m’enfermer loin de la lumière du ciel " 
Là c’est toute l’Irlande. 
Elle poursuit : "Et me priver de la vue des champs et des fleurs, me priver de tout ce qui peut me ramener vers l’amour de Dieu, tout cela est pire que la fournaise de la Bible. Je pourrais me passer de mon cheval de guerre, et me promener en portant des jupes, si seulement je pouvais encore entendre le vent dans les arbres, les alouettes dans le soleil et les jeunes agneaux bêlants dans le froid vivifiant et les divines cloches. Sans cela je ne peux pas vivre. Votre conseil est celui du diable, et le mien vient de Dieu "

Cet hymne à la liberté, c’est la voix même de l’Irlandais Shaw, qui le chante avec toute sa flamme de militant, et pour lui, la Pucelle, comme tant d’autres êtres exceptionnels, est rejetée par l’ensemble du monde parce qu’ils ne la comprennent pas. L’ensemble de l’humanité ne comprend pas son message et sa foi.

Dernière phrase de l’épilogue "Oh ! Dieu, qui a fais ce monde si beau, quand sera-t-il prêt à recevoir tes Saints ? Quand, ô Seigneur, quand ? "

C’est comme cela que se termine, Sainte Jeanne.

J’espère avoir fait ressortir la diversité et l’intelligence de l’œuvre de Bernard Shaw. Irlandais de souche, Britannique de cœur, cette double appartenance a fait de lui un grand génie et a été le gage de son succès. Son sens du comique, son sens de la création des personnages est extraordinaire. Nous devons aussi nous incliner et admirer son inlassable recherche du bien de l’humanité, et de la vérité dans l’Histoire.

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Portrait de Shaw en 1894 - Maison de Shaw - G.B. Shaw à la fin de sa vie

Il a un très grand art de la création et il garde toujours cet extraordinaire humour anglo-irlandais. 
Il dira : "Mais moi, je suis Britannique. Qui suis-je ? Qu’est-ce qui compte vraiment ? Je vénère l’heure du thé, j’aime la vie dans les clubs, je possède le respect de la vie de chacun et j’ai la passion du jardin.. Et pour un Français ce serait encore plus vite fait de résumer. Ce serait simplement Camembert, Bastille, Victor Hugo "

Cet ensemble de qualités, ce grand cœur, ce maître à penser, ce grand Irlandais et ce grand Anglais, on peut dire, Monsieur Shaw, que vous avez bien mérité votre Prix Nobel.

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G.B. Shaw avec l'Oscar et le Prix Nobel 

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Affiche originale de la comédie musicale
"My Fair Lady", d'après "Pygmalion"