Raynal-Mony 22/01/16
Forum Universitaire Gérard Raynal-Mony Séminaire 7 Année 2015-2016 Le 22 janvier 2016
L'homme est une machine Il ne suffit pas à un sage d'étudier la nature et la vérité, il doit oser la dire en faveur du petit nombre de ceux qui veulent et peuvent penser ; car pour les autres, qui sont volontairement esclaves des préjugés, il ne leur est pas plus possible d'atteindre la vérité qu'aux grenouilles de voler. […] S'il y a un Dieu, il est l'auteur de la Nature, comme de la révélation. Il nous a donné l'une pour expliquer l'autre, et la raison pour les accorder. S'il y a une révélation, elle ne peut donc démentir la nature. [...] L'expérience et l'observation doivent seules nous guider ici. Elles se trouvent sans nombre dans les fastes des médecins qui ont été philosophes. […] L'homme est une machine si composée qu'il est impossible de s'en faire d'abord une idée claire, et en conséquence de la définir. […] Ce n'est qu'a posteriori, ou en cherchant à démêler l'âme comme au travers des organes du corps, qu'on peut, je ne dis pas découvrir avec évidence la nature de l'homme, mais atteindre le plus grand degré de probabilité possible sur ce sujet. […] Le corps humain est une machine qui monte elle-même ses ressorts : vivante image du mouvement perpétuel. […] Les divers états de l'âme sont donc toujours corrélatifs à ceux du corps. Mais pour mieux démontrer toute cette dépendance et ses causes, servons-nous de l'anatomie comparée. [Car] des animaux à l'homme, la transition n'est pas violente. L'organisation est le premier mérite de l'homme […] D'où nous vient l'habileté, la science et la vertu, si ce n'est d'une disposition qui nous rend propres à devenir habiles, savants et vertueux ? Et d'où nous vient cette disposition, si ce n'est de la nature ? Nous n'avons de qualités estimables que par elle ; nous lui devons tout ce que nous sommes. […] Mais puisque toutes les facultés de l'âme dépendent tellement de la propre organisation du cerveau et de tout le corps qu'elles ne sont visiblement que cette organisation même, voilà une machine bien éclairée ! Car enfin, quand l'homme seul aurait reçu en partage la Loi naturelle, en serait-il moins une machine ? Des roues, quelques ressorts de plus que dans les animaux les plus parfaits, le cerveau proportionnellement plus proche du cœur et recevant aussi plus de sang, la même raison donnée, que sais-je enfin ? Des causes inconnues produiraient toujours cette conscience délicate, si facile à blesser, ces remords, qui ne sont pas plus étrangers à la matière que la pensée, et en un mot toute la différence qu'on suppose ici. L'organisation suffirait-elle donc à tout ? Oui, puisque la pensée se développe visiblement avec les organes ; pourquoi la matière dont ils sont faits ne serait-elle pas aussi susceptible de remords quand une fois elle a acquis avec le temps la faculté de sentir ? L'âme n'est donc qu'un vain terme dont on n'a point d'idée, et dont un bon esprit ne doit se servir que pour nommer la partie qui pense en nous. [Une fois] posé le moindre principe de mouvement, les corps animés auront tout ce qu'il leur faut pour se mouvoir, sentir, penser, se repentir et se conduire, en un mot, dans le physique et dans le moral qui en dépend. […] A présent qu'il est démontré contre les cartésiens, stahliens, malebranchistes et théologiens, peu dignes d'être ici placés, que la matière se meut par elle-même, [...] la curiosité de l'homme voudrait savoir comment un corps, par cela même qu'il est originairement doué d'un souffle de vie, se trouve en conséquence orné de la faculté de sentir, et enfin par celle-ci de la pensée. Tout ce que l'expérience nous apprend, c'est que tant que le mouvement subsiste dans une ou plusieurs fibres, il n'y a qu'à les piquer pour réveiller ce mouvement presque éteint. Il est constant que le mouvement et le sentiment s'excitent tour à tour. […] Mais de plus, d'excellents philosophes ont démontré que la pensée n'est qu'une faculté de sentir, et que l'âme raisonnable n'est que l'âme sensitive appliquée à contempler les idées et à raisonner ! […] Qu'on m'accorde seulement que la matière organisée est douée d'un principe moteur, et que tout dépend dans les animaux de la diversité de cette organisation, c'en est assez pour deviner l'énigme des substances et celle de l'homme. [...] Être machine, sentir, penser, savoir distinguer le bien du mal comme le bleu du jaune, en un mot être né avec de l'intelligence et un instinct sûr de morale et n'être qu'un animal sont donc des choses qui ne sont pas plus contradictoires qu'être un singe ou un perroquet et savoir se donner du plaisir. […] Je crois la pensée si peu incompatible avec la matière organisée qu'elle semble en être une propriété, telle que l'électricité, la faculté motrice, l'impénétrabilité, l'étendue, etc. […] Brisez la chaîne de vos préjugés ; armez-vous du flambeau de l'expérience et vous ferez à la Nature l'honneur qu'elle mérite, au lieu de conclure à son désavantage de l'ignorance où elle vous a laissé.[...] Ainsi on a vu que les dons naturels, la source de tout ce qui s'acquiert, trouvent dans la bouche et le cœur du matérialiste des hommages que tout autre leur refuse injustement. Enfin, le matérialiste convaincu, quoi que murmure sa propre vanité, qu'il n'est qu'une machine ou qu'un animal, ne maltraitera point ses semblables, [...] ne voulant pas en un mot, suivant la Loi naturelle donnée à tous les animaux, faire à autrui ce qu'il ne voudrait pas qu'il lui fît. Concluons donc hardiment que l'homme est une machine, et qu'il n'y a dans tout l'univers qu'une seule substance diversement modifiée. […] Voilà mon système, ou plutôt la vérité si je ne me trompe fort. Elle est courte et simple. |