Maroy/20-05-15
Forum Universitaire Jacqueline Maroy Séminaire 13 Année 2014-2015 le 20 mai 2015
« Il s’agit, que je l’ai prévenu, de Gwendor le Magnifique, Prince de Christianie... Nous arrivons... Il expire... au moment même où je te cause... Son sang s’échappe par vingt blessures... L’armée de Gwendor vient de subir une abominable défaite... Le Roi Krogold lui-même au cours de la mêlée a repéré Gwendor... Il l’a pourfendu... Il n’est pas fainéant Krogold... Il fait sa justice lui-même... Gwendor a trahi... La mort arrive sur Gwendor et va terminer son boulot... Écoute un peu ! « Le tumulte du combat s’affaiblit avec les dernières lueurs du jour... Au loin disparaissent les derniers Gardes du Roi Krogold... Dans l’ombre montent les râles de l’immense agonie d’une armée... Victorieux et vaincus rendent leurs âmes comme ils peuvent... Le silence étouffe tour à tour cris et râles, de plus en plus faibles, de plus en plus rares... « Écrasé sous un monceau de partisans, Gwendor le Magnifique perd encore du sang... À l’aube la mort est devant lui. « “ As-tu compris Gwendor ? « — J’ai compris ô Mort ! J’ai compris dès le début de cette journée... J’ai senti dans mon cœur, dans mon bras aussi, dans les yeux de mes amis, dans le pas même de mon cheval, un charme triste et lent qui tenait du sommeil... Mon étoile s’éteignait entre tes mains glacées. . Tout se mit à fuir ! Ô Mort ! Grands remords ! Ma honte est immense !... Regarde ces pauvres corps !... Une éternité de silence ne peut l'adoucir !... « — Il n’est point de douceur en ce monde Gwendor ! rien que de légende ! Tous les royaumes finissent dans un rêve !... « — Ô Mort ! Rends-moi un peu de temps... un jour ou deux ! Je veux savoir qui m’a trahi... « — Tout trahit Gwendor... Les passions n’appartiennent à personne, l’amour, surtout, n’est que fleur de vie dans le jardin de la jeunesse. ” « Et la mort tout doucement saisit le prince... Il ne se défend plus... Son poids s’est échappé... Et puis un beau rêve reprend son âme... Le rêve qu’il faisait souvent quand il était petit, dans son berceau de fourrure, dans la chambre des Héritiers, près de sa nourrice la morave, dans le château du Roi René... » Gustin il avait les mains qui lui pendaient entre les genoux... « C’est pas beau ? » que je l’interroge. TEXTE 2 : Marcel Proust Du côté de chez Swann Folio page 9 À Combray … On avait bien inventé, pour me distraire les soirs où on me trouvait l'air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en attendant l'heure du dîner, on coiffait ma lampe; et, à l'instar des premiers architectes et maîtres verriers de l'âge gothique, elle substituait à l'opacité des murs d'impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané. Mais ma tristesse n'en était qu'accrue, parce que rien que le changement d'éclairage détruisait l'habitude que j'avais de ma chambre et grâce à quoi, sauf le supplice du coucher, elle m'était devenue supportable. Maintenant je ne la reconnaissais plus et j'y étais inquiet, comme dans une chambre d'hôtel ou de « chalet », où je fusse arrivé pour la première fois en descendant de chemin de fer. Au pas saccadé de son cheval, Golo, plein d'un affreux dessein, sortait de la petite forêt triangulaire qui veloutait d'un vert sombre la pente d'une colline, et s'avançait en tressautant vers le château de la pauvre Geneviève de Brabant. Ce château était coupé selon une ligne courbe qui n'était autre que la limite d'un des ovales de verre ménagés dans le châssis qu'on glissait entre les coulisses de la lanterne. Ce n'était qu'un pan de château et il avait devant lui une lande où rêvait Geneviève qui portait une ceinture bleue. Le château et la lande étaient jaunes et je n'avais pas attendu de les voir pour connaître leur couleur car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée du nom de Brabant me l'avait montrée avec évidence. Golo s'arrêtait un instant pour écouter avec tristesse le boniment lu à haute voix par ma grand-tante et qu'il avait l'air de comprendre parfaitement, conformant son attitude, avec une docilité qui n'excluait pas une certaine majesté, aux indications du texte; puis il s'éloignait du même pas saccadé. Et rien ne pouvait arrêter sa lente chevauchée. Si on bougeait la lanterne, je distinguais le cheval de Golo qui continuait à s'avancer sur les rideaux de la fenêtre, se bombant de leurs plis, descendant dans leurs fentes. Le corps de Golo lui-même, d'une essence aussi surnaturelle que celui de sa monture, s'arrangeait de tout obstacle matériel, de tout objet gênant qu'il rencontrait en le prenant comme ossature et en se le rendant intérieur, fût-ce le bouton de la porte sur lequel s'adaptait aussitôt et surnageait invinciblement sa robe rouge ou sa figure pâle toujours aussi noble et aussi mélancolique, mais qui ne laissait paraître aucun trouble de cette transvertébration.
– Mais, madame Octave, ce n'est pas encore l'heure de la pepsine, disait Françoise. Est-ce que vous vous êtes senti une faiblesse ? – Mais non, Françoise, disait ma tante, c'est-à-dire, si, vous savez bien que maintenant les moments où je n'ai pas de faiblesse sont bien rares ; un jour je passerai comme Mme Rousseau sans avoir eu le temps de me reconnaître ; mais ce n'est pas pour cela que je sonne. Croyez-vous pas que je viens de voir comme je vous vois Mme Goupil avec une fillette que je ne connais point. Allez donc chercher deux sous de sel chez Camus. C'est bien rare si Théodore ne peut pas vous dire qui c'est. – Mais ça sera la fille à M. Pupin, disait Françoise qui préférait s'en tenir à une explication immédiate, ayant été déjà deux fois depuis le matin chez Camus. – La fille à M. Pupin ! Oh ! je vous crois bien, ma pauvre Françoise ! Avec cela que je ne l'aurais pas reconnue ? – Mais je ne veux pas dire la grande, madame Octave, je veux dire la gamine, celle qui est en pension à Jouy. Il me ressemble de l'avoir déjà vue ce matin. – Ah ! à moins de ça, disait ma tante.
Maurras, Hermant, ça savait écrire le beau français filandreux qui faisait Céline tourner de l’œil. Tiens. Et celui-là. Pas peuple : un médecin. Mais pour le faire à la populaire, il en remettait même un peu. Tout de même, il a une forte tendance à ressembler à un grand écrivain. Le Voyage au bout de la nuit, ça a tout de même été un bouquin sensationnel. Mais quand il a voulu le faire au politique, qu’est-ce qu’il a pu débloquer. Ses idées étaient moins bien moulées que la belle prose classique. Son délire provenait peut-être de l’emploi de l’argot : le lumpenprolétariat doit avoir à faire là-dedans. N’empêche que le Voyage est le premier livre important où l’usage du français parlé ne soit pas limité au dialogue,, mais aussi au narré. Bâtons page 54 Entre-temps avait paru le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, le premier livre d'importance où pour la première fois le style oral marche à fond de train (et avec peu de goncourtise) de la première à la dernière page depuis « Ça a débuté comme ça. Moi j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. » Jusqu'à « Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus. » En passant par « De fil en aiguille, même sur Napoléon on a trouvé des rigolades à se raconter. Parapine il la connaissait bien lui l'histoire à Napoléon. Ça l'avait passionné autrefois qu'il m'apprit, en Pologne, quand il était encore au lycée. Il avait été bien élevé lui Parapine, pas comme moi. » Ici, enfin, on a le français parlé moderne, tel qu'il est, tel qu'il existe. Ce n'est pas seulement une question de vocabulaire, mais aussi de syntaxe. Bâtons page 17
Pigritia est un mot terrible. Il engendre un monde, la pègre, lisez le vol, et un enfer, la pégrenne, lisez la faim. Ainsi la paresse est mère. Elle a un fils, le vol, et une fille, la faim. Où sommes-nous en ce moment ? Dans l’argot. Qu’est-ce que l’argot ? C’est tout à la fois la nation et l’idiome ; c’est le vol sous ses deux espèces, peuple et langue. Lorsqu’il y a trente-quatre ans le narrateur de cette grave et sombre histoire introduisait au milieu d’un ouvrage écrit dans le même but que celui-ci un voleur parlant argot, il y eut ébahissement et clameur. — Quoi ! comment ! l’argot ? Mais l’argot est affreux ! mais c’est la langue des chiourmes, des bagnes, des prisons, de tout ce que la société a de plus abominable ! etc., etc., etc. Nous n’avons jamais compris ce genre d’objections. Depuis, deux puissants romanciers, dont l’un est un profond observateur du cœur humain, l’autre un intrépide ami du peuple, Balzac et Eugène Süe, ayant fait parler des bandits dans leur langue naturelle comme l’avait fait en 1828 l’auteur du Dernier jour d’un condamné, les mêmes réclamations se sont élevées. On a répété : — Que nous veulent les écrivains avec ce révoltant patois ? l’argot est odieux ! l’argot fait frémir ! Qui le nie ? Sans doute. Lorsqu’il s’agit de sonder une plaie, un gouffre ou une société, depuis quand est-ce un tort de descendre trop avant, d’aller au fond ? Nous avions toujours pensé que c’était quelquefois un acte de courage, et tout au moins une action simple et utile, digne de l’attention sympathique que mérite le devoir accepté et accompli. Ne pas tout explorer, ne pas tout étudier, s’arrêter en chemin, pourquoi ? S’arrêter est le fait de la sonde et non du sondeur.
« Par le travers de l’Étoile mon beau navire il taille dans l’ombre... chargé de toile jusqu’au trémat... Il pique droit sur l’Hôtel-Dieu... La ville entière tient sur le Pont, tranquille... Tous les morts je les reconnais... Je sais même celui qui tient la barre... Le pilote je le tutoye... Il a compris le professeur... il joue en bas l’air qu’il nous faut... Black Joe... Pour les croisières... Pour bien prendre le Temps... le Vent... les menteries... Si j’ouvre la fenêtre, il fera froid d’un coup... Demain j’irai le tuer M. Bizonde qui nous fait vivre... le bandagiste, dans sa boutique... Je veux qu’il voyage... Il ne sort jamais... Mon navire souffre et il malmène au-dessus du Parc Monceau... Il est plus lent que l’autre nuit... Il va buter dans les Statues... Voici deux fantômes qui descendent à la Comédie-Française... Trois vagues énormes emportent les arcades Rivoli. La sirène hurle dans mes carreaux... Je pousse ma lourde... Le vent s’engouffre... Ma mère radine exorbitée... Elle me semonce... Que je me tiens mal comme toujours !... La Vitruve se précipite !... Assaut des recommandations... Je me révolte... Je les agonise... Mon beau navire est à la traîne. Ces femelles gâchent tout infini... il bourre en cap, c’est une honte !... Il incline sur bâbord quand même... Y a pas plus gracieux que lui sous voiles... Mon cœur le suit... |