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Maroy 06/01/16

FORUM UNIVERSITAIRE                                                                      JACQUELINE MAROY           ANNEE 2015-2016

DOCUMENTS SEMINAIRE 5                                                                                     le 6 JANVIER 2016

 

Document 2 « De la littérature considérée comme une tauromachie », in L’âge d’homme

Folio page 10

Un problème le tourmentait, qui lui donnait mauvaise conscience et l’empêchait d’écrire : ce qui se passe dans le domaine de l’écriture n’est-il pas dénué de valeur si cela reste « esthétique », anodin, dépourvu de sanction, s’il n’y a rien, dans le fait d’écrire une œuvre, qui soit un équivalent (et ici intervient l’une des images les plus chères à l’auteur) de ce qu’est pour le torero la corne acérée du taureau, qui seule - en raison de la menace matérielle qu’elle recèle - confère une réalité humaine à son art, l’empêche d’être autre chose que grâces vaines de ballerine ?
Mettre à nu certaines obsessions d’ordre sentimental ou sexuel, confesser publiquement certaines des déficiences ou des lâchetés qui lui font le plus honte, tel fut pour l’auteur le moyen - grossier sans doute, mais qu’il livre à d’autres en espérant le voir amender - d’introduire ne fût-ce que l’ombre d’une corne de taureau dans une œuvre littéraire.

Texte 3 Michel Leiris L'âge d'homme  Gallimard 1939 folio page 23

Je viens d'avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J'ai des cheveux châtains coupés court afin d'éviter qu'ils ondulent, par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise, marque classique (si l'on en croit les astrologues) des personnes nées sous le signe du Taureau; un front développé, plutôt bossu, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cette ampleur de front est en rapport (selon le dire des astrologues) avec le signe du Bélier; et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins de ces deux signes: le Bélier et le Taureau. Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé; mon teint est coloré; j'ai honte d'une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très dessinées; mes deux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter quelque chose d'assez faible ou d'assez fuyant dans mon caractère.

Ma tête est plutôt grosse pour mon corps; j'ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches. Je marche le haut du corps incliné en avant; j'ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté; ma poitrine n'est pas très large et je n'ai guère de muscles. J'aime à me vêtir avec le maximum d'élégance; pourtant, à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure et de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités, je me juge d'ordinaire profondément inélégant; j'ai horreur de me voir à l’improviste dans une glace car, faute de m'y être préparé, je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante.

Texte 4 Montaigne Essais (extraits) Classiques Larousse page 31


"II, XVII, De la présomption"
Je suis d'une taille un peu au-dessous de la moyenne. Ce défaut n'a pas seulement de la laideur, mais encore de l'incommodité, à ceux mêmement qui ont des commandements et des charges car l'autorité que donne une belle présence et majesté corporelle en est à dire. (...)
J'ai au demeurant la taille forte et ramassée ; le visage non pas gras, mais plein ; la complexion entre le jovial et le mélancolique, moyennement sanguine et chaude,
Unde figent setis mihi crura et pectora villis :
la santé forte et allègre jusque bien avant en mon âge rarement troublé par les maladies. J'étais tel ; car je ne me considère pas à cette heure que je suis engagé dans les avenues de la vieillesse, ayant piéça franchi les quarante ans :
Minutatim vires et robur adultum
Frangit, et in partem pejorem liquitur aetas .
Ce que je serai dorénavant, ce ne sera plus qu'un demi-être, ce ne sera plus moi ; je m'échappe tous les jours et me dérobe à moi :
Singula de nobis anni praedantur euntes .
D'adresse et de disposition, je n'en ai point eu ; et si suis fils d'un père très dispos, et d'une allégresse qui lui dura jusques à son extrême vieillesse. Il ne trouva guère homme de sa condition qui s'égalât à lui en tout exercice de corps : comme je n'en ai trouvé guère aucun qui ne me surmontât, sauf au courir (en quoi j'étais des médiocres). De la musique, ni pour la voix, que j'y ai très inepte, ni pour les instruments, on ne m'y a jamais su là rien apprendre. À la danse, à la paume, à la lutte, je n'y ai pu acquérir qu'une bien fort légère et vulgaire suffisance ; à nager, à escrimer, à voltiger et à sauter, nulle du tout. Les mains, je les ai si gourdes que je ne sais pas écrire seulement pour moi : de façon que, ce que j'ai barbouillé, j'aime mieux le refaire que de me donner la peine de le démêler. Et ne lis guère mieux : je me sens peser aux écoutants ; autrement bon clerc. Je ne sais pas clore à droit une lettre, ni ne sus jamais tailler plume, ni trancher à table, qui vaille, ni équiper un cheval de son harnais, ni porter à point un oiseau et le lâcher, ni parler aux chiens, aux oiseaux, aux chevaux.

Mes conditions corporelles sont, en somme, très bien accordantes à celles de l'âme. Il n'y a rien d'allègre : il y a seulement une vigueur pleine et ferme. Je dure bien à la peine ; mais j'y dure si je m'y porte moi-même, et autant que mon désir m'y conduit,
Molliter austerum studio fallente laborem.
Autrement si je n'y suis alléché par quelque plaisir, et si j'ai autre guide que ma pure et libre volonté je n'y vaux rien. Car j'en suis là que sauf la santé et la vie il n'est chose pour quoi je veuille ronger mes ongles et que je veuille acheter au prix du tourment d'esprit et de la contrainte,
Tanti mihi non sit opaci
Ommis arena Tagi, quodque in mare volvitur aurum :
extrêmement oisif, extrêmement libre, et par nature et par art. Je prêterais aussi volontiers mon sang que mon soin.

Texte 5 Flaubert Salammbô : La bataille du Macar

La phalange commençait à osciller, les capitaines couraient éperdus, les serre-files poussaient les soldats, et les Barbares s'étaient reformés ; ils revenaient ; la victoire était pour eux.

Mais un cri, un cri épouvantable éclata, un rugissement de douleur et de colère : c'étaient les soixante-douze éléphants qui se précipitaient sur une double ligne, Hamilcar ayant attendu que les Mercenaires fussent tassés en une seule place pour les lâcher contre eux ; les Indiens les avaient si vigoureusement piqués que du sang coulait sur leurs larges oreilles. Leurs trompes, barbouillées de minium, se tenaient droites en l'air, pareilles à des serpents rouges ; leurs poitrines étaient garnies d'un épieu, leur dos d'une cuirasse, leurs défenses allongées par des lames de fer courbes comme des sabres, - et pour les rendre plus féroces, on les avait enivrés avec un mélange de poivre, de vin pur et d'encens. Ils secouaient leurs colliers de grelots, criaient ; et les éléphantarques baissaient la tête sous le jet des phalariques qui commençaient à voler du haut des tours.

Afin de mieux leur résister les Barbares se ruèrent, en foule compacte ; les éléphants se jetèrent au milieu, impétueusement. Les éperons de leur poitrail, comme des proues de navire, fendaient les cohortes ; elles refluaient à gros bouillons. Avec leurs trompes, ils étouffaient les hommes, ou bien les arrachant du sol, par-dessus leur tête ils les livraient aux soldats dans les tours ; avec leurs défenses, ils les éventraient, les lançaient en l'air, et de longues entrailles pendaient à leurs crocs d'ivoire comme des paquets de cordages à des mâts. Les Barbares tâchaient de leur crever les yeux, de leur couper les jarrets ; d'autres, se glissant sous leur ventre, y enfonçaient un glaive jusqu'à la garde et périssaient écrasés ; les plus intrépides se cramponnaient à leurs courroies ; sous les flammes, sous les balles, sous les flèches, ils continuaient à scier les cuirs, et la tour d'osier s'écroulait comme une tour de pierre. Quatorze de ceux qui se trouvaient à l'extrémité droite, irrités de leurs blessures, se retournèrent sur le second rang ; les Indiens saisirent leur maillet et leur ciseau et l'appliquant au joint de la tête, à tour de bras, ils frappèrent un grand coup.

Les bêtes énormes s'affaissèrent, tombèrent les unes par-dessus les autres. Ce fut comme une montagne ; et sur ce tas de cadavres et d'armures, un éléphant monstrueux qu'on appelait Fureur de Baal pris par la jambe entre des chaînes, resta jusqu'au soir à hurler, avec une flèche dans l'œil.

Cependant les autres, comme des conquérants qui se délectent dans leur extermination, renversaient, écrasaient, piétinaient, s'acharnaient aux cadavres, aux débris. Pour repousser les manipules serrés en couronnes autour d'eux, ils pivotaient sur leurs pieds de derrière, dans un mouvement de rotation continuelle, en avançant toujours. Les Carthaginois sentirent redoubler leur vigueur, et la bataille recommença.

               


Texte 6 Apollinaire Alcools Poésie Gallimard 1909

La dame en robe d'ottoman violine
Et en tunique brodée d'or
Décolletée en rond
Promenait ses boucles
Son bandeau d'or
Et traînait ses petits souliers à boucles

Elle était si belle
Que tu n'aurais pas osé l'aimer

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes
Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux
Le fer était leur sang la flamme leur cerveau
J'aimais j'aimais le peuple habile des machines
Le luxe et la beauté ne sont que son écume
Cette femme était si belle
Qu'elle me faisait peur