Raynal-Mony 27/11/15
Forum Universitaire Gérard Raynal-Mony Séminaire 4 Année 2015-2016 le 27 novembre 2015
De l'histoire Il n'est rien de plus aisé, quand on a beaucoup d'esprit et d'expérience dans la profession d'auteur, que de faire une histoire satirique, composée des mêmes faits qui ont servi à faire un éloge. Deux lignes supprimées, ou pour, ou contre, dans l'exposition d'un fait sont capables de faire paraître un homme, ou fort innocent, ou fort coupable : et comme par la seule transposition de quelques mots, on peut faire d'un discours fort saint, un discours impie, de même par la seule transposition de quelques circonstances, on peut faire de l'action du monde la plus criminelle, l'action la plus vertueuse. L'omission d'une circonstance, la supposition d'une autre, que l'on coule adroitement en cinq ou six mots, un je ne sais quel tour que l'on donne aux choses changent entièrement la qualité des actions. Un historien comme Tacite, qui agirait de mauvaise foi, ferait une vie de Louis XIV peu glorieuse, sur les mêmes faits qui porteront au souverain degré de gloire le nom de ce grand monarque ; et l'on peut dire qu'à l'égard de la réputation, toute la destinée des princes est entre les mains des historiens. […] Après cela, n'est-ce point peine perdue que de lire l'histoire ? Car si d'un côté le bon sens veut que je me défie d'un historien huguenot, et que je le soupçonne, ou de n'avoir pas pénétré les pernicieux desseins de son parti, faute de discernement et à cause des préjugés qui l'aveuglent, ou de les avoir dissimulés afin de sauver l'honneur de sa religion ; de l'autre côté, le même bon sens veut que je me défie d'un historien de la communion romaine et que je le soupçonne, ou d'avoir malicieusement tu certaines circonstances qui serviraient à la justification des huguenots, ou de leur avoir imputé faussement des choses qui les rendent haïssables, ou d'avoir cru par des jugements préoccupés que tout ce qui se faisait dans son parti était légitime et qu'au contraire, ceux qu'il regardait comme hérétiques n'étaient animés que d'un esprit de rage, de fureur et d'impiété. S'il m'est permis à moi qui suis de la religion [réformée] de douter de la bonne foi d'un ministre qui écrit l'histoire, à plus forte raison me doit-il être permis de révoquer en doute la bonne foi d'un ecclésiastique, séculier ou régulier. Bien entendu qu'un catholique se donne une semblable liberté, de douter un peu moins de la bonne foi d'un ecclésiastique que de celle d'un ministre. […] Furent-ils [les protestants de France] les derniers à se servir des voies de fait et avant que d'en venir là, observèrent-ils plusieurs précautions capables de faire leur apologie ? Je n'en sais rien ; leurs historiens le disent, mais les historiens du parti contraire les démentent. Les catholiques furent-ils de bonne foi à observer les traités ? Employèrent-ils les voies de la douceur pour réduire le calvinisme ? Ils ont des historiens qui l'assurent ; mais on s'inscrit en faux contre eux et on les traite d'imposteurs. Dispute là-dessus qui voudra, pour moi je veux être pyrrhonien ; je n'affirme ni l'un, ni l'autre. Bayle, Critique générale de l'histoire du calvinisme, I, 3-4 (1686 ?) On accommode l'histoire à peu près comme les viandes dans une cuisine. Chaque nation les apprête à sa manière de sorte que la même chose est mise en autant de ragoûts différents qu'il y a de pays au monde ; et presque toujours, on trouve plus agréables ceux qui sont conformes à sa coutume. Voilà ou peu s’en faut, le sort de l'histoire ; chaque nation chaque religion, chaque secte prend les mêmes faits tout crus où ils se peuvent trouver, les accommode et les assaisonne selon son goût et puis ils semblent à chaque lecteur, vrais ou faux selon qu'ils conviennent ou qu'ils répugnent à ses préjugés. On peut encore pousser plus loin la comparaison, car comme il y a certains mets absolument inconnus en quelques pays et dont on ne voudrait aucunement, à quelque sauce qu'ils fussent, ainsi il y a des faits qui ne sont reçus que d'un certain peuple ou d'une certaine secte ; toutes les autres les traitent de calomnies et d'impostures. Bayle, Nouvelles de la République des Lettres, mars 1686, IV Tous ceux qui savent les lois de l'histoire tomberont d’accord qu'un historien, qui veut remplir fidèlement ses fonctions, doit se dépouiller de l'esprit de flatterie et de l'esprit de médisance et se mettre le plus possible dans l'état d'un stoïcien qui n'est agité d'aucune passion. Insensible à tout le reste, il ne doit être attentif qu'aux intérêts de la vérité, et il doit sacrifier à cela le ressentiment d'une injure, le souvenir d'un bienfait et l'amour même de la patrie. Il doit oublier qu'il est d'un certain pays, qu'il a été élevé dans une certaine communion, qu'il est redevable de sa fortune à tels et tels, que tels et tels sont ses parents ou ses amis. Un historien en tant que tel est comme Melchisédec, sans père, sans mère et sans généalogie. Si on lui demande, D'où êtes-vous ? Il faut qu'il réponde, Je ne suis ni Français, ni Allemand, ni Anglais, ni Espagnol, etc. : je suis habitant du monde, je ne suis ni au service de l'Empereur, ni au service du roi de France, mais seulement au service de la vérité ; c'est ma seule reine, je n'ai prêté qu'à elle le serment d'obéissance. Bayle, Dictionnaire historique et critique, (3° éd 1715), article Usson, remarque F |