Raynal-Mony 06/11/15
Forum Universitaire Gérard Raynal-Mony Séminaire 2 Année 2015-2016 le 6 novembre 2015
De l'immatérialisme 3. - Que ni nos pensées, ni nos passions, ni les idées formées par l'imagination n'existent hors de l'esprit, c'est ce que tout le monde accordera. Et il semble non moins évident que les diverses sensations ou idées imprimées sur les sens, quelque mélangées ou combinées qu'elles puissent être (c'est-à-dire quels que soient les objets qu'elles composent), ne peuvent exister autrement que dans un esprit qui les perçoit. Je pense qu'une connaissance intuitive de cela peut être obtenue par quiconque prête attention à ce qu'on entend par le mot exister lorsqu'il s'applique aux choses sensibles. Je dis que la table sur laquelle j'écris existe : je la vois, je la touche; et si j'étais hors de mon bureau je dirais qu'elle existe, entendant par là que, si j’étais dans mon bureau, je pourrais la percevoir ou que quelque autre esprit (spirit) la perçoit actuellement. Il y avait une odeur : elle était sentie ; il y avait un son : il était entendu ; une couleur ou une figure : elle était perçue par la vue ou le toucher. C'est ce que je puis comprendre par de telles expressions et d'autres semblables. Car, quant à ce que l'on dit de l'existence absolue de choses non pensantes, sans aucun rapport avec le fait qu'elles soient perçues, cela semble parfaitement inintelligible. Leur être c'est d'être perçu (esse est percipi), et il n'est pas possible qu'elles aient quelque existence en dehors des esprits ou des choses pensantes qui les perçoivent. 4. - Certes, c'est une opinion curieusement dominante parmi les hommes, selon laquelle les maisons, les montagnes, les rivières, bref tous les objets sensibles, possèdent une existence naturelle ou réelle, distincte du fait qu'ils sont perçus par l'entendement. Mais, quels que soient l'assurance et l'accord avec lesquels ce principe est reçu dans le monde, pourtant, quiconque aura le courage de s'interroger sur la question pourra, si je ne me trompe, y déceler une contradiction manifeste. Que sont les objets mentionnés ci-dessus sinon des choses que nous percevons par les sens ? Et que percevons-nous hormis nos propres idées ou sensations ? N'y a-t-il pas une contradiction à admettre que l'une d'entre elles, ou quelqu'une de leurs combinaisons, puisse exister sans être perçue ? 5. - Si l'on examine à fond cette opinion, on trouvera peut-être qu'elle dépend, au fond, de la doctrine des idées abstraites. Car peut-il y avoir un effort d'abstraction plus subtil que celui qui consiste à distinguer l'existence des objets sensibles d'avec la perception qu'on en a ? George Berkeley, Principes de la connaissance,2 (1710) ; trad. D. Berlioz, GF, Paris, 1991 Si les principes que j'entreprends ici de propager sont reçus pour vrais, il s'ensuit que l'athéisme et le scepticisme seront radicalement ruinés, que bien des points confus seront éclaircis, de grosses difficultés résolues, plusieurs parties inutiles retranchées des sciences, la spéculation rapportée à la pratique et les hommes reconduits des paradoxes au sens commun. Peut-être que certains trouveront malaisé d'avoir fait un si long détour par tant de notions raffinées et hors du commun, pour devoir en venir finalement à penser comme les autres hommes ; pourtant, à mon sens, ce retour à ce que dicte la simple nature, après avoir erré à travers les labyrinthes inhospitaliers de la philosophie, n'a rien de déplaisant. C'est comme de rentrer chez soi après un long voyage ; on se remémore avec plaisir toutes les difficultés et tous les embarras par lesquels on est passé, on met son cœur au repos, et l'on éprouve à l'avenir plus de contentement. - (Préface, 168) Philonous - Pour moi, il est évident […] que les choses sensibles ne peuvent exister ailleurs que dans un esprit ou une intelligence (a mind or a spirit). D'où je conclus, non pas qu'elles n'ont aucune existence réelle, mais que, vu qu'elles ne dépendent pas de ma pensée, et qu'elles ont une existence distincte du fait d'être perçues par moi, il faut qu'il y ait un autre esprit dans lequel elles existent. Dès lors, autant il est certain que le monde sensible existe, autant il est certain qu'il y a un esprit infini et omniprésent qui le contient et le supporte. - (Deuxième dialogue, 212) Philonous – Il est clair que les choses ont une existence extérieure à mon esprit, puisque l'expérience me fait reconnaître qu'elles en sont indépendantes. Il y a donc quelque autre esprit dans lequel elles existent entre les moments où je les perçois, c'est ainsi qu'elles étaient avant ma naissance et qu'elles seront encore après mon anéantissement supposé. Et comme ce que je dis est également vrai de tous les autres esprits créés et finis, il s'ensuit nécessairement qu'il y a un esprit (mind) omniprésent et éternel, qui connaît et comprend toutes choses, et qui les donne à voir [...] conformément aux règles qu'il a prescrites, et que nous appelons les lois de la nature. - (Troisième dialogue, 230-231) George Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous,3 (1713) ; trad. G. Brykman, GF, 1998 |