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Maroy 07/10/15

Forum Universitaire                                    Jacqueline Maroy                                 Année 2015-2016

Séminaire 1                                                                                                 le 7 Octobre 2015


Texte 1 Henri Michaux Zao Wou-Ki Galerie du jeu de paume (2003) page 175

Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique.

Tout différent le tableau : Immédiat, entier. Puis on va à gauche, à droite, comme on veut, où l’on a envie, selon ses trajets, et les pauses ne sont pas indiquées.

Dès qu’on le désire l’œil le tient à nouveau, entier. Dans un instant, tout est là.

Tout, mais rien n’est encore connu. C’est ici qu’il faut commencer à LIRE.

Joie peu connue, quoique pour tous. Tous peuvent lire un tableau, ont quelque chose à y trouver (et à des mois de distance, des choses nouvelles), tous, les respectueux, les insolents, les extra et les introvertis, les analystes scientifiques, ceux des mouvements de l’individu, et des au-delà de l’individu, ceux pour qui tout trait est comme un saumon à tirer de l’eau, ceux pour qui tout chien rencontré est chien à mettre sur la table d’opération pour y voir ses émotions dans son estomac ouvert, ceux qui préfèrent jouer avec le chien de rencontre, pour se reconnaître aussi, sans doute en le connaissant, ceux qui dans un autrui ne font jamais ripaille que d’eux-mêmes, ceux qui voient surtout la grande marée qui porte également le tableau au peintre et le peintre lui-même, et le lecteur et la foule de leur entourage et de leurs prédécesseurs et la foule des événements unis, enfin et surtout ceux qu’on appelle propres à rien, les incoordonnés, ceux qui dans tout paysage ont leurs ailes de moulin à faire tourner

(On les voit tourner en pleine lumière dans des paysages étrangers.)

Puissé-je pousser quelques-uns, lecteurs qui s’ignorent, à lire à leur tour

Et que Monsieur Zao Wou-Ki m’excuse.

On m’apporta ses lithographies Je ne connaissais ni lui-même, ni ses peintures. J’écrivis le lendemain les pages qui suivent, à quelques lignes prés. Il méritait un plus « sérieux » lecteur.


Texte 2 Madame de Lafayette La princesse de Clèves (1678) Ed des Belles Lettres p112

Il y avait longtemps que M. de Nemours souhaitait d’avoir le portrait de madame de Clèves. Lorsqu’il vit celui qui était à M. de Clèves, il ne put résister à l’envie de le dérober à un mari qu’il croyait tendrement aimé ; et il pensa que, parmi tant de personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas soupçonné plutôt qu’un autre.

Madame la dauphine était assise sur le lit, et parlait bas à madame de Clèves, qui était debout devant elle. Madame de Clèves aperçut, par un des rideaux qui n’était qu’à demi fermé, M. de Nemours, le dos contre la table qui était au pied du lit ; et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. Elle n’eut pas de peine à deviner que c’était son portrait, et elle en fut si troublée que madame la dauphine remarqua qu’elle ne l’écoutait pas et lui demanda tout haut ce qu’elle regardait. M. de Nemours se tourna à ces paroles ; il rencontra les yeux de madame de Clèves qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu’il n’était pas impossible qu’elle eût vu ce qu’il venait de faire.

Madame de Clèves n’était pas peu embarrassée : la raison voulait qu’elle demandât son portrait ; mais en le demandant publiquement, c’était apprendre à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle ; et, en le lui demandant en particulier, c’était quasi l’engager à lui parler de sa passion ; enfin, elle jugea qu’il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu’elle lui pouvait faire sans qu’il sût même qu’elle la lui faisait. M. de Nemours, qui remarquait son embarras, et qui en devinait quasi la cause, s’approcha d’elle et lui dit tout bas : Si vous avez vu ce que j’ai osé faire, ayez la bonté, madame, de me laisser croire que vous l’ignorez, je n’ose vous en demander davantage ; et il se retira après ces paroles, et n’attendit point sa réponse.

TEXTE 3 Claude Lévy Strauss La pensée sauvage Pocket(1962) page 38

Quelle vertu s’attache donc à la réduction, que celle-ci soit d’échelle, ou qu’elle affecte les propriétés ?

Elle résulte, semble-t-il, d’une sorte de renversement du procès de la connaissance: pour connaître l’objet réel dans sa totalité, nous avons toujours tendance à opérer depuis ses parties. La résistance qu’il nous oppose est surmontée en la divisant. La réduction d’échelle renverse cette situation : plus petite, la totalité de l’objet apparaît moins redoutable; du fait d’être quantitativement diminuée, elle nous semble qualitativement simplifiée. Plus exactement, cette transposition quantitative accroît et diversifie notre pouvoir sur un homologue de la chose ; à travers lui, celle-ci peut être saisie, soupesée dans la main, appréhendée d’un seul coup d’œil. La poupée de l’enfant n’est plus un adversaire, un rival ou même un interlocuteur : en elle et par elle, la personne se change en sujet. A l’inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties. Et même si c’est là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d’entretenir cette illusion, qui gratifie l’intelligence et la sensibilité d’un plaisir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique.

Texte 4 Comtesse de Ségur Les malheurs de Sophie (1859) ed. de l’Agora (Genève)

À MA PETITE-FILLE ÉLISABETH FRESNEAU

Chère enfant, tu me dis souvent : Oh ! grand’mère, que je vous aime ! vous êtes si bonne ! Grand’mère n’a pas toujours été bonne, et il y a bien des enfants qui ont été méchants comme elle et qui se sont corrigés comme elle. Voici des histoires vraies d’une petite fille que grand’mère a beaucoup connue dans son enfance ; elle était colère, elle est devenue douce ; elle était gourmande, elle est devenue sobre ; elle était menteuse, elle est devenue sincère ; elle était voleuse, elle est devenue honnête ; enfin, elle était méchante, elle est devenue bonne.

Grand’mère a taché de faire de même. Faites comme elle, mes chers petits enfants ; cela vous sera facile, à vous qui n’avez pas tous les défauts de Sophie.

Texte 5 Comtesse de Ségur Le Général Dourakine (1863) ed. de l’Agora p186

Malgré sa résistance, Mme Papofski fut enlevée par ces hommes robustes qu’elle n’avait pas aperçus, et entraînée dans un salon petit, mais d’apparence assez élégante. Quand elle fut au milieu de ce salon, elle se sentit descendre par une trappe à peine assez large pour laisser passer le bas de son corps ; ses épaules arrêtèrent la descente de la trappe ; terrifiée, ne sachant ce qui allait lui arriver, elle voulut implorer la pitié des deux hommes qui l’avaient amenée, mais ils étaient disparus ; elle était seule. À peine commençait-elle à s’inquiéter de sa position, qu’elle en comprit toute l’horreur, elle se sentit fouettée comme elle aurait voulu voir fouetter ses paysans. Le supplice fut court, mais terrible. La trappe remonta ; la porte du petit salon s’ouvrit.