Maroy 03/06/15
Forum Universitaire Jacqueline Maroy Séminaire 14 Année 2014-2015 le 3 juin 2015
« Donc, Colonel, vous m'écoutez ! je vous disais qu'en ce temps-là... non ! je vous l'ai pas dit !... je vous le dis !... je menais une vie agitée... j'avoue... assez agitée... je fonçais d'un bout à l'autre de Paris, pour un oui... un non... à pied, en métro, en voiture... oui !... voilà comme j'étais... pour une dame qui me voulait du bien... pour une dame qui m'en voulait pas... et pour des raisons plus sérieuses... ah, oui !... plus sérieuses !... je consultais ici et là... en particulier, je devais me rendre à Issy presque chaque matin, pour une consultation d'usine... et je demeurais à Montmartre !... vous vous rendez compte !... chaque matin !... Pigalle-lssy ! l'autobus?... une fois, deux fois... ça va !... mais tous les jours? ça fait réfléchir : tous les jours ! je vous assure !... la meilleure façon ?... métro ? vélo ? autobus ?... je prenais le métro?... j'y allais en vélo ?... ou à griffe?... oh, là que j'ai hésité !... tergiversé... rerenoncé... le noir métro? ce gouffre qui pue, sale et pratique?... le grand avaloir des fatigués?... ou je restais dehors? je bagottais? be not to be?... l'autobus?... l'autobus?... cet angoissé monstre grelottant hoquetant... bégayeur à chaque carrefour?... qui perd des heures à être poli... à pas écraser la rombière... à attendre que dessous son pare-choc se dépêtre le triporteur venu s'y foutre !... père de famille de six enfants... ou je fonçais à pied ?... par les rues? une!! deux!!... Issy à pied? sportif de sportif? c'était le dilemme! les profondeurs ou la surface? ô choix d'Infinis! la surface est pleine d'intérêt... tous les trucs!... tout le Cinéma... tous les plaisirs du Cinéma !... pensez !... pensez !... les minois des dames, les postères des dames, et toute l'animation autour! les messieurs qui piaffent!... l'éclaboussement des vanités !... la concentration des boutiques !... les bariolages, les étalages !... milliards à gogo !... le Paradis en « étiquettes» !... à tant l'objet ! à tant le kilo !... femmes ! parfums ! comestibles de luxe! les convoitises!... «Mille et trente-six Nuits» chaque vitrine!... mais, attention! ensorcellures ! vous voilà film... transformé film! film vous-même! et un film c'est que des anicroches! de bout en bout!... qu'anicroches!... pertes de temps! carambolages !... cafouillades !... mélimélo !... flics, vélos, croisements. déviations, sens, contre-sens !... stagnation !... zut ! Boileau s'y amusait encore... il serait écrasé de nos jours... foutre des rimes !... le Pascal, dans une « deux chevaux», je voudrais le voir un peu du Printemps à la rue Taitbout !... c'est pas un gouffre qu'il aurait peur !... vingt abîmes ! la Surface est plus fréquentable !... la vérité !... voilà !... alors?... j'hésite pas moi !... c'est mon génie! le coup de mon génie! pas trente-six façons !... j'embarque tout mon monde dans le métro, pardon !... et je fonce avec : j'emmène tout le monde!... de gré ou de force!... avec moi !... le métro émotif, le mien ! sans tous les inconvénients, les encombrements ! dans un rêve !... jamais le moindre arrêt nulle part ! non ! au but ! au but ! direct ! dans l'émotion !... par l'émotion ! rien que le but : en pleine émotion... bout en bout !
Ma tante se résignait à se priver un peu d'elle pendant notre séjour, sachant combien ma mère appréciait le service de cette bonne si intelligente et active, qui était aussi belle dès cinq heures du matin dans sa cuisine, sous son bonnet dont le tuyautage éclatant et fixe avait l'air d'être en biscuit, que pour aller à la grand-messe ; qui faisait tout bien, travaillant comme un cheval, qu'elle fût bien portante ou non, mais sans bruit, sans avoir l'air de rien faire, la seule des bonnes de ma tante qui, quand maman demandait de l'eau chaude ou du café noir, les apportait vraiment bouillants ; elle était un de ces serviteurs qui, dans une maison, sont à la fois ceux qui déplaisent le plus au premier abord à un étranger, peut-être parce qu'ils ne prennent pas la peine de faire sa conquête et n'ont pas pour lui de prévenance, sachant très bien qu'ils n'ont aucun besoin de lui, qu'on cesserait de le recevoir plutôt que de les renvoyer ; et qui sont en revanche ceux à qui tiennent le plus les maîtres qui ont éprouvé leurs capacités réelles, et ne se soucient pas de cet agrément superficiel, de ce bavardage servile qui fait favorablement impression à un visiteur, mais qui recouvre souvent une inéducable nullité. ...
On se prendrait presque à préférer l’antipathie perspicace d’un Léautaud répétant qu’il s’agissait au contraire d’un style « volontairement fabriqué » ; ou la lucidité de Bernanos repérant aussi, mais positivement, le considérable travail de fabrication de la prose célinienne, « ce langage inouï, comble du naturel et de l’artifice, inventé, créé de toutes pièces à l’exemple de celui de la tragédie, aussi loin que possible d’une reproduction servile du langage des misérables, mais fait justement pour exprimer ce que le langages des misérables ne saura jamais exprimer, leur âme puérile et sombre, la sombre enfance des misérables » .
Souvent, lorsque Charles était sorti, elle allait prendre dans l'armoire, entre les plis du linge où elle l'avait laissé, le porte-cigares en soie verte. Elle le regardait, l'ouvrait, et même elle flairait l'odeur de sa doublure, mêlée de verveine et de tabac. A qui appartenait-il ?… au Vicomte. C'était peut-être un cadeau de sa maîtresse ? On avait brodé cela sur quelque métier de palissandre, meuble mignon que l'on cachait à tous les yeux, qui avait occupé bien des heures, et où s'étaient penchées les boucles molles de la travailleuse pensive. Un souffle d'amour avait passé parmi les mailles du canevas ; chaque coup d'aiguille avait fixé là une espérance ou un souvenir ; et tous ces fils de soie entrelacés n'étaient que la continuité de la même passion silencieuse. Et puis, le Vicomte, un matin, l'avait emporté avec lui. De quoi avait-on parlé, lorsqu'il restait sur les cheminées à large chambranle, entre les vases de fleurs et les pendules Pompadour ? Elle était à Tostes. Lui, il était à Paris, maintenant ; là-bas ! Comment était-ce Paris ? Quel nom démesuré ! Elle se le répétait à demi-voix, pour se faire plaisir ; il sonnait à ses oreilles comme un bourdon de cathédrale ; il flamboyait à ses yeux, jusque sur l'étiquette de ses pots de pommade. La nuit, quand les mareyeurs, dans leurs charrettes, passaient sous ses fenêtres en chantant la Marjolaine, elle s'éveillait ; et, écoutant le bruit des roues ferrées, qui, à la sortie du pays, s'amortissait sur la terre : « Ils y seront demain », se disait-elle. Et elle les suivait dans sa pensée, montant et descendant les côtes, traversant les villages, filant sur la grande route à la clarté des étoiles. Mais au bout d'une distance indéterminée, il se trouvait toujours une place confuse où expirait son rêve. Elle s'acheta un plan de Paris, et, du bout de son doigt, sur la carte, elle faisait des courses dans la capitale. Elle remontait les boulevards, s'arrêtant à chaque angle, entre les lignes des rues, devant les carrés blancs qui figurent les maisons. Les yeux fatigués à la fin, elle fermait ses paupières, et elle voyait dans les ténèbres se tordre au vent des becs de gaz, avec des marchepieds de calèches qui se déployaient à grand fracas, devant le péristyle des théâtres.
Qu’y a-t-il ? On dirait… vous n’avez pas remarqué ?... Il me semble que Qu’y a-t-il? On dirait.., vous n’avez pas remarqué?... Il me semble que j’ai perçu... Dans ce qu’il a dit?... Non, c’est plutôt dans son silence.., quand il nous écoutait j’ai senti, je n’aurais pas été surpris si de ses lèvres étaient sortis... — Oh non, qu’allez-vous imaginer? Ce n’était rien... J’étais ailleurs.., j’aurais pu tout au plus répéter sans penser à ce que je disais.., d’autres l’ont dit d’abord, pas moi.., d’autres qui ont prouvé qu’ils n’étaient pas... qui n’a de ces moments? Lui-même peut-être... — Que dites-vous? De qui parlez-vous?... — Non, pas de lui, bien sûr.., mais je voulais juste indiquer qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri... Il faut nous pardonner. Un moment d’hébétude, de distraction, ce n’est pas assez pour que... — Oh que si. Il y a eu bien des cas où presque rien… pas de fumée sans feu… a suffi pour marquer à vie... — Oui, je sais, mais moi.., — quoi vous? Personne, vous le savez, même parmi ceux qui sont quelqu’un, ne peut jouir de l’immunité quand il s’agit... — Mais moi, ce que je voulais dire... Non, qu’est-ce que je dis? je ne voulais rien dire... — Ah vous voyez, vous hésitez, vous bafouillez, je ne me suis pas trompé... vous pouvez me remercier, je vous ai arrêté à temps... j’ai perçu, je ne m’y trompe jamais... il y avait dans votre regard, dans votre silence, oui... comme une réticence... encore un instant… le diable vous poussant... des mots allaient sortir... — Non, pas moi, moi je ne pouvais rien dire, pour la bonne raison que je n’ai rien pensé. Non, je vous assure, vous n’y êtes pas, pas chez moi... moi, quels mots ?... Mais je m’étonne... Au fait, quels sont ces mots ? D’où vous viennent-ils? Comment vous sont ils venus à l’esprit? — Oh je ne sais pas... j’ai dû entendre... — Entendre où ? Chez qui? —Je ne me souviens plus... — Réfléchissez. C’est grave, car si vous ne les avez pas entendus... alors... Mais dites-les donc, ces mots que vous avez conçus, que vous avez « senti » se former en moi, monter à mes lèvres... Bon, bon, n’insistons pas... Ce ne sera pas, cette fois, mis sur votre compte... Vous avez cru, juste cru percevoir, c’est ce qui est un peu fâcheux... oui, c’était une hallucination… mais il faudra vous surveiller, c’est inquiétant... Vous savez bien ce que c’est, ce que vous avez imaginé, ce que vous avez cru entendre : C’est ce que disent les imbéciles. |