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Maroy 17/12/14

Forum Universitaire                                     Jacqueline Maroy                                   Séminaire 5

Année 2014-2015                                                                                            le 17 décembre 2014


Texte 1 :    Apollinaire Alcools Gallimard page 36


Chantre

Et l’unique cordeau des trompettes marines

Texte 2 :    Rimbaud poésies complètes 1871,  Poche page188

« L’étoile a pleuré rose »…


L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,

L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins

La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles

Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.

Texte 3 : Elie Wiesel  en préface à Bernanos La grande peur des bien-pensants Poche

« j’admire beaucoup Bernanos, l’écrivain. Mais si je l’admire c’est également pour ses prises de position d’après. C’est l’antisémitisme qui m’a gêné au départ chez lui, ainsi que son amitié pour Drumont bien entendu. Mais un écrivain de droite qui a le courage de prendre les positions qu’il a prises pendant la guerre d’Espagne fait preuve d’une attitude prémonitoire. Il était clair que Bernanos allait venir vers nous. Sa découverte de ce que représentent les Juifs témoigne de son ouverture, de sa générosité. C’est presque impossible de trouver en France, en Europe peut-être, un écrivain qui, avant la guerre en tout cas, n’ait pas connu sa période antisémite. Ce n’est pas sa faute d’ailleurs, parce qu’en vérité il ne faut pas oublier l’ambiance, le climat politique et littéraire qui régnaient alors. C’est pourquoi je ne peux pas en vouloir à Bernanos, qui eut le courage de s’opposer au fascisme, de dénoncer l’antisémitisme et de dire justement ce qu’il a dit et écrit de la beauté d’être juif, de l’honneur d’être juif, et du devoir de rester juif. »


Elie Wiesel,

Le mal et l’exil

nouvelle Cité 1988

Texte 4 : Céline : Voyage au bout de la nuit  Folio page99


Madame Herote sut mettre à bon profit les dernières licences qu’on avait encore de baiser debout et pas cher. Un commissaire priseur désœuvré passa devant son magasin certain dimanche, il y entra, il y est toujours. Gaga il l’était un peu, il le demeura sans plus. Leur bonheur ne fit aucun bruit. A l’ombre des journaux délirants d’appels aux sacrifices ultimes et patriotiques, la vie, strictement mesurée, farcie de prévoyance, continuait et bien plus astucieuse même que jamais. Tels sont l’envers et l’endroit, comme le lumière  et l’ombre, de le même médaille.


Le commissaire de madame Herote plaçait en Hollande des fonds pour ses amis, les mieux renseignés, et pour madame Herote à son tour, dès qu’ils furent devenus confidents. Les cravates, les soutiens-gorge, les presque chemises comme elle en vendait, retenaient clients et clientes et surtout les incitaient à revenir souvent.

Grand nombre de rencontres étrangères et nationales  eurent lieu à l’ombre rosée de ces brise-bises parmi les phrases incessantes de la patronne dont toute la personne substantielle, bavarde et parfumée jusqu’à l’évanouissement, aurait pu rendre grivois le plus ranci des hépatiques. Dans ces mélanges, loin de perdre l’esprit, elle retrouvait son compte madame Herote, en argent d’abord, parce qu’elle prélevait sa dîme sur les ventes en sentiments, ensuite parce qu’il se faisait beaucoup d’amour autour d’elle. Unissant les couples et les désunissant avec une joie au moins égale, à coups de ragots, d’insinuations, et de trahisons.


Elle imaginait du bonheur et du drame sans désemparer. Elle entretenait la vie des passions. Son commerce n’en marchait que mieux.

Proust, mi-revenant lui-même, s’est perdu avec une extraordinaire ténacité dans l’infinie, la diluante futilité des rites et démarches qui s’entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain d’improbables Cythères. Mais madame Herote, populaire et substantielle d’origine, tenait solidement à la terre par de rudes appétits, bêtes et précis.

Texte 5 :   Patrick Modiano La place de l’étoile Folio page 13

C’était le temps où je dissipais mon héritage vénézuélien. Certains ne parlaient plus que de ma belle jeunesse et de mes boucles noires, d’autres m’abreuvaient d’injures. Je relis une dernière fois l’article que me consacra Léon Rabatête, dans un numéro spécial d’Ici la France   « ... Jusqu’à quand devrons-nous assister aux frasques de Raphaël Schlemilovitch? Jusqu’à quand ce juif promènera-t-il impunément ses névroses et ses épilepsies, du Touquet au cap d’Antibes, de La Baule à Aix-les-Bains? Je pose une dernière fois la question : jusqu’à quand les métèques de son espèce insulteront-ils les fils de France? Jusqu’à quand faudra-t-il se laver perpétuellement les mains, à cause de la poisse juive?... » Dans le même journal, le docteur Bardamu éructait sur mon compte : «    Schlemilovitch?... Ah ! la moisissure de ghettos terriblement puante !... pâmoison chiotte !... Foutriquet prépuce !... arsouille libano-ganaque !... rantanplan... Vlan ! Contemplez donc ce gigolo yiddish... cet effréné empaffeur de petites Aryennes !... avorton infiniment négroïde !... cet Abyssin frénétique jeune nabab !... A l’aide !... qu’on l’étripe… le châtre !... Délivrez le docteur d’un pareil spectacle.., qu’on le crucifie, nom de Dieu !... Rastaquouère des cocktails infâmes.. youtre des palaces internationaux !... des partouzes made in Haifa !.. Cannes !... Davos !... Capri et tutti quanti !... grands bordels extrêmement hébraïques !... Délivrez-nous de ce circoncis muscadin !... ses Maserati rose salomon !... ses yachts façon Tibériade !... Ses cravates Sinaï !   que les Aryennes ses esclaves lui arrachent le gland !.. avec leurs belles quenottes de chez nous… leurs mains mignonnes... lui crèvent les yeux !... sus au calife.!... Révolte du harem chrétien !... Vite !... Vite... refus de lui lécher les testicules !... lui faire des mignardises contre des dollars!... Libérez-vous !... du cran, Madelon !... autrement, le docteur, il va pleurer !... se consumer !... affreuse injustice !... Complot du Sanhédrin !... On en veut à la vie du Docteur!... croyez-moi!... le Consistoire!... la Banque Rothschild !... Cahen d’Anvers !... Schlemilovitch !... aidez Bardamu, fillettes !... au secours !... »

Le docteur ne me pardonnait pas mon Bardamu démasqué que je lui avais envoyé de Capri. Je révélais dans cette étude mon émerveillement de jeune juif quand, à quatorze ans, je lus d’un seul trait Le Voyage de Bardamu et Les Enfances de Louis-Ferdinand. Je ne passais pas sous silence ses pamphlets antisémites, comme le font les bonnes âmes chrétiennes. J’écrivais à leur sujet: « Le docteur Bardamu consacre une bonne partie de son œuvre à la question juive. Rien d’étonnant à cela : le docteur Bardamnu est l’un des nôtres, c’est le plus grand écrivain juif de tous les temps. Voilà pourquoi il parle de ses frères de race avec passion. Dans ses Œuvres purement romanesques, le docteur Bardamu rappelle notre frère de race Charlie Chaplin, par son goût des petits détails pitoyables, ses figures  émouvantes de persécutés… La phrase du docteur Bardamu est encore plus « juive » que la phrase tarabiscotée de Marcel Proust : une musique tendre, larmoyante, un peu raccrocheuse, un tantinet cabotine… » Je concluais : «  Seuls les juifs peuvent vraiment comprendre l’un des leurs, seul un juif peut parler à bon escient du docteur Bardamu. »  Pour toute réponse, le docteur m’envoya une lettre injurieuse.

Texte 6   Bernanos Les enfants humiliés Gallimard page 208

Je n’accepte pas qu’on me croie à l’aise dans ma solitude. Je ne m’y suis pas fait une existence confortable, comme par exemple M. Paul Claudel qui me parait avoir chaque année renforcé la clôture que domine l’orgueilleux étendard du Temple, mais derrière laquelle il arrose patiemment les gras légumes de sa carrière champenoise d’opulent fonctionnaire et d’administrateur de Sociétés.

 « Hé bien, quoi ! dit-on encore, vous voudriez que M. Paul Claudel fût l’homme de ses livres. Êtes-vous l’homme des vôtres ? Êtes-vous le curé de campagne, ou Donissan, ou Chantal ? » Je ne suis pas l’homme de mes livres, mais du moins je ne mens pas à mes livres, ma vie ne ment pas à mes livres, ma vie ne dit rien, ma vie se tait. Si vous la forciez de parler, elle raconterait à peu près la même histoire que la vôtre. Je ne puis la donner en exemple à personne, je crois que les plus malins n’y sauraient trouver d’autre leçon que celle d’une facilité naturelle, non pas à supporter patiemment les embêtements, mais à juger qu’on ne les a pas volés, qu’on en est tout de même quitte à bon compte. Ma vie ne gêne pas mes livres, elle tricote dans son coin, repousse du pied la bûche qui croule, surveille la marmite familiale, et tâche de ne pleurer que la journée faite, lorsque tout le monde est couché. Je ne puis tolérer que celle de M. Paul Claudel se promène dans son œuvre austère qui tient du cloitre roman, du temple juif et du palais babylonien, galonnée jusqu’au ventre, couverte d’autant de médailles qu’un drapeau d’orphéon, les poches pleines d’actions, d’obligations et de parts de fondateur.

Texte 7 Bernanos, Les enfants humiliés Gallimard page 120

Je ne crois plus aux imposteurs depuis que j’ai écrit l’imposture, ou du moins je m’en fais une idée bien différente. C’est un livre qui m’a coûté beaucoup de peine, dont je suis sorti ébranlé comme d’une épreuve au-dessus de mes forces, et la dernière ligne écrite, j’ignorais encore si l’abbé Cénabre était oui ou non un imposteur, je l’ignore toujours, j’ai cessé de m’interroger là dessus. Pour mériter le nom d’imposteur, il faudrait qu’on fût totalement responsable de son mensonge, i1 faudrait qu’on l’eût engendré, or tous les mensonges n’ont qu’un Père, et ce Père n’est pas d’ici. Je crois que le mensonge est un parasite, le menteur un parasite qui se gratte où cela le démange. Il n’est certainement pas interdit de se défendre contre les mensonges d’autrui, parce que si étranger qu’il paraisse à notre nature, quelque répugnance qu’il nous inspire — ou peut-être en raison de cette répugnance — nous ne sommes jamais sûrs qu’il ne trouvera pas en notre propre fonds un autre mensonge complice, à quoi il est par avance mystérieusement accordé, pour une abjecte fécondation. Car il n’y a pas de mensonge, il y a des générations de mensonges, le mensonge n’est nullement une création abstraite de l’homme et le mentir un jeu analogue à celui des échecs, comme le croient volontiers les diplomates d’église ou d’ailleurs, chaque mensonge est vivant, bien vivant, un mensonge, en terrain favorable, se reproduit plus vite que la mouche du vinaigre. Prétendre les classer par espèces et par genres serait une entreprise vaine, non moins vaine l’illusion de juger du menteur sur son mensonge, alors que l’expérience nous apprend si peu de chose touchant l’évolution de cette maladie qui, à l’exemple de la vérole, épargne presque indéfiniment des médiocres et pourrit d’un coup jusqu’à l’os des êtres sains, forts et purs. Il est peu d’hommes qui, à une heure de la vie, honteux de leur faiblesse ou de leurs vices, incapables de leur faire front, d’en surmonter l’humiliation rédemptrice, n’aient été tentés de se glisser hors d’eux-mêmes, à pas de loup, ainsi que d’un mauvais lieu. Beaucoup ont couru plus d’une fois, impunément, cette chance atroce. L’imposteur n’est peut-être sorti qu’une seule fois, mais il n’a pu rentrer. C’est bien joli de dire qu’il le fait exprès, qu’en sait-on ? Ce qu’il a quitté ne se signalait guère au regard, et face à tant de portes qui se ressemblent, il désespère de reconnaître la sienne, il n’ose même plus engager sa clef aux serrures, par crainte de recevoir sur la tête le pot de chambre du propriétaire courroucé.