Raynal-Mony 19/12/14
Forum Universitaire Gérard Raynal-Mony Séminaire 5 Année 2014-2015 le 19 décembre 2014 Hobbes : Un empirisme rationnel 3 – J’entends par enchaînement, ou suite de pensées, cette succession d’une pensée à une autre appelée discours mental, par opposition au discours verbal. Aucune pensée ne succède arbitrairement à une autre. Mais, puisque nous n’imaginons que ce dont nous avons eu précédemment la sensation, nous ne passons pas de l’image d’une chose à l'image d’une autre si un tel passage ne s’est pas déjà produit sous nos sens. La raison en est que toutes les illusions (fancy) sont des mouvements à l’intérieur de nous-mêmes, des résidus de ceux perçus par nos sens. […] Le discours mental, quand il est ordonné à un dessein, n’est rien d’autre que la recherche, l’investigation des causes d’un effet présent ou passé, ou bien des effets d’une cause présente ou passée. […] 4 – De la parole : L’usage courant de la parole est de convertir le discours mental en discours verbal, ou l’enchaînement de nos pensées en suite de mots ; cela présente deux avantages. L’un est de nous permettre de fixer l’enchaînement de nos pensées qui […] peuvent à nouveau être rappelées grâce à tels ou tels mots qui les signalent. La première utilité des noms est donc de servir de marques, ou repères de mémoire. L’autre avantage est quand plusieurs utilisent les mêmes mots pour signifier les uns aux autres ce qu’ils conçoivent ou pensent, et ce qu’ils désirent ou craignent. Et, dans cet emploi, les mots sont appelés signes. […] Il n’y a rien d’universel dans le monde que les noms, car les choses nommées sont toutes individuelles et singulières. […] La vérité consiste en l’exacte mise en ordre des noms dans nos affirmations, en sorte que celui qui cherche une vérité certaine est dans l’obligation de se souvenir de ce que chacun des noms qu’il utilise veut dire et, conformément à cela, de le ranger à sa place, sans quoi il se retrouvera piégé dans les mots, comme un oiseau pris dans la glu […]. Ceux qui pratiquent la géométrie (qui est l’unique science dont il a plu à Dieu, jusqu’à maintenant, de doter le genre humain) commencent par déterminer la signification de leurs mots ; cette détermination des significations, ils l’appellent définitions et placent celles-ci au début de leur calcul. On voit par là combien il est nécessaire, à quiconque aspire à la connaissance vraie, d’examiner les définitions des anciens auteurs et, soit de les rectifier quand elles sont établies avec inattention, soit de les produire soi-même. […] C’est dans la définition correcte des noms que réside l’acquisition de la science. […] - Est sujet à recevoir des noms tout ce qui peut entrer dans un compte, être additionné ou soustrait. […] 5 – De la raison et de la science : Raisonner, c’est concevoir une somme totale à partir de l’addition de sommes partielles, ou concevoir un reste à partir de la soustraction d’une somme retranchée à une autre. […] Ces opérations ne concernent pas uniquement les nombres, mais toutes les sortes de choses qui peuvent être additionnées les unes aux autres ou retirées les unes des autres. [...] En quelque domaine que ce soit, là où il y a de quoi additionner et soustraire, il y a aussi une place pour la raison, et, là où ces opérations n’ont pas leur place, la raison n’a rien à faire du tout. [...] En ce sens, la raison, n’est que le calcul (l’addition et la soustraction) des conséquences des noms généraux, dont nous avons convenu pour consigner et signifier nos pensées. Je dis consigner quand nous calculons pour nous-mêmes, et signifier quand nous en faisons la démonstration ou la preuve pour les autres. La sensation et la mémoire sont la connaissance d’un fait, qui est une chose passée et irrévocable, la science est la connaissance des conséquences et de la dépendance d’un fait par rapport à un autre. [...] La lumière de l’esprit humain est la clarté des mots, épurés de toute ambiguïté, grâce à des définitions exactes. La raison en est la démarche, le progrès de la science en est le chemin, et le bien du genre humain le but. Au contraire, métaphores et mots ambigus privés de sens sont comme des feux follets ; raisonner à partir d'eux, c’est se perdre au milieu d’innombrables absurdités […] 9 – Des divers objets de connaissance : Il y a deux espèces de connaissance ; la connaissance des faits et la connaissance de la conséquence allant d’une affirmation à une autre. La première n’est rien d’autre que la sensation et la mémoire, et c’est une connaissance absolue, comme quand nous voyons qu’un fait a lieu ou quand nous nous souvenons qu’il a eu lieu ; c’est la connaissance que l’on requiert d’un témoin. La seconde est appelée science et elle est conditionnelle, comme quand nous savons que si la figure que l’on considère est un cercle, alors toute ligne droite passant par le centre divisera la figure en deux parties égales. Il s’agit de la connaissance que l’on requiert d’un philosophe, c’est-à-dire de celui qui prétend raisonner. - Le recueil de la connaissance des faits est appelé histoire ; il y en a de deux sortes : l’une est appelée histoire naturelle, elle est l’histoire des faits ou effets de la nature qui ne dépendent pas de la volonté humaine, comme les histoires des métaux, des plantes, des animaux, des régions et ainsi de suite. L’autre est l’histoire civile, qui est l’histoire des actions volontaires des hommes dans les États. - Les recueils de la science sont ces livres qui contiennent les démonstrations des conséquences allant d’une affirmation à une autre et sont communément appelés livres de philosophie […] Hobbes, Léviathan (1651) ; trad. G. Mairet, Paris, Gallimard, folio essais, 2000 |