Maroy 05/11/14
Forum Universitaire Jacqueline Maroy Séminaire 02 Année 2014-2015 le 5 novembre 2014
Texte 1 : Nietzsche , Ainsi parlait Zarathoustra Folio page 58
La vie est dure à porter : mais n’ayez donc pas l’air si tendre ! Nous sommes tous des ânes et des ânesses chargés de fardeaux. Qu’avons-nous de commun avec le bouton de rose qui tremble puisqu’une goutte de rosée l’oppresse. Il est vrai que nous aimons la vie, mais ce n’est pas parce que nous sommes habitués à la vie, mais à l’amour. Il y a toujours un peu de folie dans l’amour. Mais il y a toujours un peu de raison dans la folie. Et pour moi aussi, pour moi qui suis porté vers la vie, les papillons et les bulles de savon, et tout ce qui leur ressemble parmi les hommes, me semble le mieux connaître le bonheur. C’est lorsqu’il voit voltiger ces petites âmes légères et folles, charmantes et mouvantes — que Zarathoustra est tenté de pleurer et de chanter. Je ne pourrais croire qu’à un Dieu qui saurait danser. Et lorsque je vis mon démon, je le trouvai sérieux, grave, profond et solennel : c’était l’esprit de lourdeur, — c’est par lui que tombent toutes choses. Ce n’est pas par la colère, mais par le rire que l’on tue. En avant, tuons l’esprit de lourdeur ! J’ai appris à marcher : depuis lors, je me laisse courir. J’ai appris à voler, depuis lors je ne veux pas être poussé pour changer de place. Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois au-dessous de moi, maintenant un dieu danse en moi. Ainsi parlait Zarathoustra.
Texte 2 : : Nietzsche , Ainsi parlait Zarathoustra Folio page 302
Si ma vertu est une vertu de danseur, si souvent des deux pieds j’ai sauté dans des ravissements d’or et d’émeraude : Si ma méchanceté est une méchanceté riante qui se sent chez elle sous des branches de roses et des haies de lys : — car dans le rire tout ce qui est méchant se trouve ensemble, mais sanctifié et affranchi par sa propre béatitude : Et ceci est mon alpha et mon oméga, que tout ce qui est lourd devienne léger, que tout corps devienne danseur, tout esprit oiseau : et, en vérité, ceci est mon alpha et mon oméga ! — Ô comment ne serais-je pas ardent de l’éternité, ardent du nuptial anneau des anneaux, l’anneau du devenir et du retour ? Jamais encore je n’ai trouvé la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce n’est cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité ! CAR JE T’AIME, Ô ÉTERNITÉ !
Texte 3 : Céline Lettres , La Pléiade page 461
Le 22 juillet 1935 Cher Elie Faure Votre lettre est émouvante. Vous le dites, je vous aime beaucoup, mais je ne vous comprends pas toujours. Vous n’êtes pas du peuple, vous n’êtes pas vulgaire, vous êtes aristocrate, vous le dites. Vous ne savez pas ce que je sais. Vous avez été au Lycée. Vous n’avez pas gagné votre pain avant d’aller à l’école. Vous n’avez pas le droit de me juger, vous ne savez pas. Vous ne savez pas tout ce que je sais. Vous ne savez pas ce que je veux, vous ne savez pas ce que je fais. Vous ne savez pas quel horrible effort je suis obligé de faire chaque jour chaque nuit, surtout, pour tenir seulement debout, pour tenir ma plume. Quand vous serez à l’agonie, vous me comprendrez entièrement et là seulement. Je parle le langage de l’intimité des choses. Il a fallu que je l’apprenne, que je l’épelle d’abord. J’ai tout jaugé. Rien de ce que je dis n’est gratuit. Je sais. Je ne suis, je demeure un imagier truculent, rien de plus. Je ne veux rien être de plus. Ce que je pense du peuple, j’aurai la pudeur de n’en jamais rien dire. Cela aussi fait partie de ma viande. Savoir me taire. Ne pas baver comme un juif, faire l’article, pour vendre, exposer ce qui doit rester secret, pour le vendre. Je vous parle brutalement Elie parce que vous êtes de l’autre bord, malgré vous. Vous ne parlez pas notre langue et vous aimez l’entendre.
Texte 4 : Céline Mort à crédit Folio page 64
Dans la journée j’avais grand-mère, elle m’apprenait un peu à lire, elle-même savait pas très bien, elle avait appris très tard, ayant déjà des enfants. Je peux pas dire qu’elle était tendre ni affectueuse, mais elle parlait pas beaucoup et ça déjà c’est énorme, et puis elle m’a jamais giflé !...Mon père, elle l’avait en haine. Elle pouvait pas le voir avec son instruction, ses grands scrupules, ses fureurs de nouille, tout son rataplan d’emmerdé. Sa fille, elle la trouvait con aussi d’avoir marié un cul pareil, à soixante-dix francs par mois, dans les Assurances. Moi, le moujingue, elle savait pas trop ce qu’elle devait encore en penser, elle m’avait en observation. C’était une femme de caractère.
Texte 5 : Proust Le côté de Guermantes La Pléiade page 633
A ce moment ma mère, qui attendait avec impatience des ballons d’oxygène qui devaient rendre plus aisée la respiration de ma grand’mère, entra elle-même dans l’antichambre où elle ne savait guère trouver M. de Guermantes. J’aurais voulu le cacher n’importe où. Mais persuadé que rien n’était plus essentiel, ne pouvait d’ailleurs la flatter davantage et n’était plus indispensable à maintenir sa réputation de parfait gentilhomme, il me prit violemment par le bras et malgré que je me défendisse comme contre un viol par des: «Monsieur, monsieur, monsieur» répétés, il m’entraîna vers maman en me disant: «Voulez-vous me faire le grand honneur de me présenter à madame votre mère?» en déraillant un peu sur le mot mère. Et il trouvait tellement que l’honneur était pour elle qu’il ne pouvait s’empêcher de sourire tout en faisant une figure de circonstance. Je ne pus faire autrement que de le nommer, ce qui déclencha aussitôt de sa part des courbettes, des entrechats, et il allait commencer toute la cérémonie complète du salut.
Texte 6 : La Bruyère Les caractères Les grands éditions du milieu du monde page 195
Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L'un ne se forme et ne s'exerce que dans les choses qui sont utiles ; l'autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l'écorce de la politesse. Le peuple n'a guère d'esprit, et les grands n'ont point d'âme : celui-là a un bon fond, et n'a point de dehors ; ceux-ci n'ont que des dehors et une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple.
Texte 7 : Céline Lettres , La Pléiade page 248
À ALBERT MILON Rennes le lundi (1920?) Mon vieux, Il est bientôt minuit, je suis crevé de diverses fatigues, mais je veux t’en conter une bien excellente, la dernière de mon beau-père. À la suite de sa nomination dans la place de Directeur, l’entourage de S.E. le cardinal Dubourg (de Limoges) dont il était le médecin ordinaire, lui fait voir qu’il était bon de rompre avec un personnage officiel, docte mais compromettant. Son Excellence [sic] (qui n’est ni plus ni moins qu’un vieil Hystérique) se laissa faire la mort dans l’âme. Et le Directeur ne s’en fut plus comme il était coutume, escaladant d’un petit pas bref le raidillon de l’Archevêché. Mais le diable était là, et le petit père Follet est du dernier bien avec le diable, comme tu sais. Il y a quelques mois, Monseigneur pique une crise que le bon docteur Follet connait si bien), mais Monseigneur est prisonnier de la politique. Son Vicaire général veille, les concurrents, Darjot, Marquis, Lantier etc. etc. surveillent, font escorte, l’entourent, mais voilà, ils ne savent pas soigner Mgr, il n’y en a qu’un qui sait.., et Mgr le dit tout bas aux sœurs qui veillent sur son repos perdu. « Allez, mes sœurs, allez, leur dit-il, rue Duguesclin n°3, vous monterez l’escalier sombre, vous irez voir le Dr Follet et vous lui direz que suis victime de l’intransigeance de la secte et que je souffre, qu’il me donne quelque chose, car lui seul sait me guérir, les autres ne savent rien. Allez, mes sœurs, allez, mais dou-ce-ment... » Et les sœurs furent... Et le grand guérisseur les accueillit comme il convient avec des larmes. « Je l’aime Mgr, leur dit-il, je sais de quels bas calculs il est l’objet, je sais qu’on ne sait pas son mal, mais mon amour pour 1ui est plus fort que mon ressentiment, portez-lui ce remède (qu’il confectionna de façon suivante: Eau : 90% Bleu de méthylène : 1% Alcool : 9%) Et les sœurs revinrent par les rues secrètes où la pluie tombe depuis des siècles sans interruption. Et Mgr en voyant la magique potion reprit espoir en la vie, il but, et naturellement il fut bien mieux, bien mieux... Mais aujourd’hui, il fait grand froid dans l’Archevêché, Mgr a pris un rhume, Mgr a peur du ciel, où l’attend cependant une large place, et cet après-midi une sœur au pas feutré s’en fut rue Duguesclin. « Docteur, votre ami le cardinal voudrait vous voir.... » Lui (magnifique) : — Y pensez-vous, ma sœur, une maison où on me fit de tels affronts… qui pullule de ces médicaillons qui s’attachent à mon inviolable réputation... » (De plus en plus magnifique) «Y pensez-vous?. » (Plus doucement) : « Docteur, votre ami le cardinal est prêt à toutes les concessions... Il vous aime bien... Il parle de vous… surtout le soir… il tousse... » Lui : « Oui, oui, évidemment, mais enfin… je voudrais bien le voir… mais ce Vicaire général me gêne... » La sœur : « Oui, Monseigneur se doutait... Alors, ce matin, Monseigneur l’a désigné pour d’autres fonctions... Vous voyez, vous pouvez venir…» Et voilà comme fut vidé le Vicaire général, et pourquoi, à l’heure où je t’écris, le docteur Follet vainqueur quand même monte d’un pas ferme le petit raidillon que tu connais et qui grimpe à l’Archevêché — où il n’était pas entré depuis deux ans. Mais, avant de partir, il m’a montré ses poches bourrées d’instruments aussi inutiles que miroitants avec lesquels il va ausculter tous les orifices de Monseigneur, et dont « je tirerai, dit-il, des consolations concluantes et innombrables. Il m’aime déjà, mais il va m’adorer, quand je vais lui promettre une vie éternelle sur la terre. Les autres n’ont pas réussi parce qu’ils ne sauront jamais la médecine, tandis que moi, assure-t-il, je la connais... je la connais…dans les coins ». Voilà un petit fait de la province. J’ai pensé qu’il t’amuserait. À bientôt fin mars. Affectueusement. Louis. |