Ratnal-Mony 23-05-14
GGalilée et Kepler C'est seulement depuis quelques heures que j'ai reçu ton livre [Mysterium cosmographicum, Tübingen, 1596], qui m'a été apporté par Paul Homberger. Puisque Paolo [Sarpi] lui-même m'a signalé qu'il allait retourner en Allemagne, j'ai pensé que cela eût été considéré réellement comme une ingratitude de ma part de ne pas exprimer par cette lettre mes remerciements pour ton présent. Donc, accepte mes remerciements et, en outre, ma gratitude pour avoir voulu saisir cette occasion de m'inviter à devenir ton ami. De ton livre, je n'ai lu jusqu'à présent que la préface, mais grâce à elle j'ai pu comprendre tes intentions. Assurément je me félicite beaucoup de trouver un compagnon tel que toi dans la recherche de la vérité et même un pareil ami de la vérité elle-même. C'est en effet une chose misérable que ceux qui recherchent la vérité, et qui ne poursuivent pas une façon perverse de philosopher, soient si peu nombreux. Mais puisque ce n'est pas le lieu de déplorer les misères de notre siècle, mais plutôt de me réjouir avec toi de tes très belles découvertes dans la confirmation de la vérité, je me contenterai d'ajouter (et de promettre) que je lirai soigneusement ton livre et avec équité, car je suis certain d'y trouver des choses très belles. Je le ferai d'autant plus volontiers que je suis venu à l'opinion de Copernic il y a déjà plusieurs années et que j'ai découvert, à partir de cette hypothèse, la cause de nombreux effets naturels qui sont assurément inexplicables au moyen de l'hypothèse commune ; j'ai composé beaucoup de démonstrations et la réfutation de beaucoup d'arguments contraires, mais jusqu'à présent je n'ai pas osé publier tout cela, étant épouvanté par le sort de notre maître lui-même, Copernic : sans doute s'est-il acquis auprès de quelques-uns une gloire immortelle, mais pour un nombre infini de gens il passe pour ridicule et mérite d'être condamné ; j'oserais assurément publier mes pensées s'il y avait plus de gens de la sorte, mais comme ce n'est pas le cas, je remettrai pareil travail à plus tard. Le temps presse, j'ai hâte de lire ton livre [...] Galilée à Johannes Kepler, Padoue, le 4 août 1597 ------------------ J'ai reçu tes deux lettres, très érudit Kepler ; à la première, rendue publique par tes soins [Dissertatio cum Nuncio Sidero], je répondrai dans une autre édition de mes observations ; dans l'attente, je te remercie pour ta sincérité et la grandeur de ton génie, car tu es le premier et presque le seul qui, après un bref examen, a fait entièrement crédit à mes affirmations ; à ta seconde lettre, reçue il y a peu, je vais répondre très brièvement, car il me reste très peu d'heures pour écrire. Tu m'indiques d'abord que tu disposes de quelques lunettes, mais sans la qualité suffisante pour faire voir très grands et très clairs les objets les plus éloignés, et que pour cela tu attends la mienne. Le très bon instrument dont je dispose, et qui agrandit plus de mille fois les apparences, n'est toutefois plus à moi : le Sérénissime Grand-Duc de Toscane me l'a en effet demandé pour le placer dans sa tribune et là, parmi des objets plus illustres et plus précieux, le conserver en mémoire éternelle de l'événement. Tu demandes, très cher Kepler, d'autres témoins. Je produis le Grand-Duc de Toscane, qui dans les derniers mois a très souvent observé à Pise avec moi les planètes médicéennes [les satellites de Jupiter], m'a remis à mon départ un cadeau de plus de mille écus d'or, et depuis peu me rappelle dans ma patrie avec un salaire égal à mille écus par an, avec le titre de Philosophe et Mathématicien de son Altesse, de plus sans aucune obligation, et m'accordant toute tranquillité et loisir afin de mener à bonne fin mes livres sur les mécaniques, la constitution de l'univers, ainsi que sur le mouvement local, naturel et violent, dont je démontre géométriquement de nombreuses propriétés, inédites et admirables. […] Je mets en avant Jules, frère de Julien le très illustre ambassadeur du Grand-Duc, qui observa plusieurs fois les planètes à Pise avec beaucoup d'autres membres de la cour. Mais si mon adversaire [Martin Horky] est lui-même un témoin, pourquoi en désirer davantage ? A Pise, cher Kepler, à Florence, à Bologne, à Venise, à Padoue, bon nombre de personnes les ont vues ; tous se taisent et hésitent ; car pour la plupart ils n'identifient en fait de planètes ni Jupiter ni Mars, et à peine la lune. […] Je souhaite, cher Kepler, que nous rions de la si manifeste sottise du vulgaire. Que diras-tu des éminents philosophes de cette université qui, avec l’entêtement de l'aspic, et malgré mes offres répétées à dessein plus de mille fois, n'ont jamais voulu voir ni les planètes, ni la lune, ni la lunette ? Ils se sont bouché celui-ci les oreilles, ceux-là les yeux, contre la lumière de la vérité. Ce genre d'hommes pense en effet que la philosophie est une sorte de livre comme l'Enéide et l'Odyssée, et que la vérité doit être cherchée non dans le monde ou la nature, mais dans la confrontation des textes (je me sers de leurs mots) […] Porte-toi bien, homme savantissime, et garde moi ton amitié. Galilée à Johannes Kepler, Padoue, le 19 août 1610 Philosophe et Mathématicien du Grand-Duc de Toscane |