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Forum Universitaire                                               Jacqueline Maroy                                   Année   2016-2017

Textes du séminaire 14                                                                                                          Le  14 juin  2017

 

Texte 1 – Diderot : La religieuse, page 121

Il me semble pourtant que, dans un État bien gouverné, ce devrait être le contraire : entrer difficilement en religion, et en sortir facilement. Et pourquoi ne pas ajouter ce cas à tant d’autres, où le moindre défaut de formalité anéantit une procédure, même juste d’ailleurs ? Les couvents sont-ils donc si essentiels à la constitution d’un État ? Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? L’Église ne peut-elle absolument s’en passer ? Quel besoin a l’époux de tant de vierges folles ? et l’espèce humaine de tant de victimes ? Ne sentira-t-on jamais la nécessité de rétrécir l’ouverture de ces gouffres, où les races futures vont se perdre ? Toutes les prières de routine qui se font là, valent-elles une obole que la commisération donne au pauvre ? Dieu qui a créé l’homme sociable, approuve-t-il qu’il se renferme ? Dieu qui l’a créé si inconstant, si fragile, peut-il autoriser la témérité de ses vœux ? Ces vœux, qui heurtent la pente générale de la nature, peuvent-ils jamais être bien observés que par quelques créatures mal organisées, en qui les germes des passions sont flétris, et qu’on rangerait à bon droit parmi les monstres, si nos lumières nous permettaient de connaître aussi facilement et aussi bien la structure intérieure de l’homme que sa forme extérieure ? Toutes ces cérémonies lugubres qu’on observe à la prise d’habit et à la profession, quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au contraire ne se réveillent-elles pas dans le silence, la contrainte et l’oisiveté avec une violence inconnue aux gens du monde, qu’une foule de distractions emporte ? Où est-ce qu’on voit des têtes obsédées par des spectres impurs qui les suivent et qui les agitent ? Où est-ce qu’on voit cet ennui profond, cette pâleur, cette maigreur, tous ces symptômes de la nature qui languit et se consume ? Où les nuits sont-elles troublées par des gémissements, les jours trempés de larmes versées sans cause et précédées d’une mélancolie qu’on ne sait à quoi attribuer ? Où est-ce que la nature, révoltée d’une contrainte pour laquelle elle n’est point faite, brise les obstacles qu’on lui oppose, devient furieuse, jette l’économie animale dans un désordre auquel il n’y a plus de remède ? En quel endroit le chagrin et l’humeur ont-ils anéanti toutes les qualités sociales ? Où est-ce qu’il n’y a ni père, ni frère, ni sœur, ni parent, ni ami ? Où est-ce que l’homme, ne se considérant que comme un être d’un instant et qui passe, traite les liaisons les plus douces de ce monde, comme un voyageur les objets qu’il rencontre, sans attachement ? Où est le séjour de la haine, du dégoût et des vapeurs ? Où est le lieu de la servitude et du despotisme ? Où sont les haines qui ne s’éteignent point ? Où sont les passions couvées dans le silence ? Où est le séjour de la cruauté et de la curiosité ? On ne sait pas l’histoire de ces asiles, disait ensuite M. Manouri dans son plaidoyer, on ne la sait pas. Il ajoutait dans un autre endroit : « Faire vœu de pauvreté, c’est s’engager par serment à être paresseux et voleur ; faire vœu de chasteté, c’est promettre à Dieu l’infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois ; faire vœu d’obéissance, c’est renoncer à la prérogative inaliénable de l’homme, la liberté. Si l’on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas, on est parjure. La vie claustrale est d’un fanatique ou d’un hypocrite. »

 

 

 

 

Texte 2 Chateaubriand   La vie de Rancé (ed 10/18-pa148)

 

Ainsi tout s’occupait de Rancé, depuis le génie jusqu’à la grandeur, depuis Liebnitz jusqu’à madame de Maintenon.

Le style de Rancé n’est jamais jeune, il a laissé la jeunesse à madame de Montbazon. Dans les œuvres de Rancé, le souffle du printemps manque aux fleurs ; mais en revanche quelles soirées d’automne ! Qu’ils sont beaux ces bruits des derniers jours de l’année !

Rancé a beaucoup écrit ; ce qui domine chez lui est une haine passionnée de la vie, ce qu’il y a d’inexplicable, ce qui serait horrible si ce n’était admirable, c’est la barrière infranchissable qu’il a placée entre lui et ses lecteurs. Jamais un aveu, jamais il ne parle de ce qu’il a fait, de ses erreurs, de son repentir. Il arrive devant le public sans daigner lui apprendre ce qu’il est ; la créature ne vaut pas la peine qu’on s’explique devant elle : il renferme en lui-même son histoire, qui lui retombe sur le cœur.